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Chroniques
Alexandre Alyabiev
œuvres pour orchestre
À lire la passionnante notice d'Evgueni Lebachev, qui introduit idéalement l'écoute de ce disque au programme plus que rare, l'on suivra les déboires d'un compositeur russe à peu près oublié aujourd'hui, respecté en son temps mais pas tant connu que la qualité de ses œuvres eût pu le lui faire prétendre : Alexandre Alyabiev.
Né aux confins sibériens en 1787, à Tobolsk dont son père était le gouverneur éclairé, le jeune Alyabiev montra tôt des dispositions encouragées par des parents cultivés. Destiné à une carrière militaire, il participe à la guerre patriotique de 1812, ce qui lui vaudra de rencontrer activement la musique de l'Europe occidentale, principalement en Allemagne où l'on n'a pas cessé, malgré les hostilités, de faire de la musique, mais aussi à Paris qu'il habitera deux mois durant, au printemps 1814. Après cette guerre, il s'établira tour à tour à Saint-Pétersbourg et à Moscou, préférant bientôt la compagnie des gens de musique et de théâtre à celle des officiers. Il écrit alors de nombreuses romances, comme le souligne André Lischke dans son Histoire de la musique russe (Fayard), non sans rappeler la vogue dans laquelle on les tient alors – au point qu'honneur reviendrait à son Avez-vous entendu, composé sur un poème de jeunesse de Pouchkine, d'ouvrir Eugène Onéguine, l'opéra de Tchaïkovski (1879) ; on notera également l'hommage rendu de son vivant par Liszt qui, en 1842, adaptait pour le piano l'élégante romance Le Rossignol (une page qui, par la suite, féconderait la verve d'autres plumes).
Au terme d'un complot assez confus, accusé à tort de meurtre en 1825, mais aussi de fraude au jeu, Alyabiev subira un procès de trois ans : le Sénat l'acquitte mais l'Empereur lui retire son titre de noblesse et le bannit. Voilà notre officier-musicien par les routes, quinze années durant. Selon Lebachev, c'est l'injustice de la sentence et les difficiles conditions de cette nouvelle vie qui métamorphoseront radicalement la facture de sa musique, outre le fait que la pratique qu'il en eut alors devînt sa seule activité (brisée, la carrière militaire).
Il retrouve d'abord la Tobolsk natale dont il dynamise la vie musicale. Quatre ans plus tard, le voilà dans le Caucase où il écrit de nombreuses partitions et le recueil de chants ukrainiens qu'il fera publier en 1834. S'il vécut officiellement une douzaine d'années à Orenbourg, le fait est qu'il habita, comme de passage pour ne pas dire clandestinement, Moscou où il fait jouer sa musique qu'il garde dans un salutaire anonymat puisqu'elle y demeure interdite. Il lui fallut attendre la grâce impériale jusqu'au printemps 1843, une grâce qui ne l'autorise à vivre à Moscou que sous surveillance et lui interdit de paraître en public. Voilà qui sans doute explique pourquoi la musique d'un compositeur dont les commentateurs et historiens louent le génie, à commencer par Lischke lui-même qui n'hésite à placer ses pièces chambristes au niveau de celles de Glinka, ne put exercer d'influence notoire sur ses contemporains et demeura méconnue par la suite.
Ce disque fait donc figure de découverte absolue, et pas des moindres, puisqu'aucune des pages qu'il nous révèle paraîtra futile dans son inspiration ni de faible facture. Quatre ouvertures à l'instrumentation délicatement ciselée s'entrelacent aux exquises et violonistiques Variations sur le thème ukrainien « Le Cosaque sur le Danube », à la déroutante et inventive Symphonie en mi mineurn°3 pour quatre cors et orchestre ou encore à la superbe Tempête, autant de joyaux qui surprendront l'écoute, ici remarquablement servis par Alexandre Trostyanski au violon et Alexander Rudin à la tête de son Musica Viva Orchestra.
BB