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Chroniques
Alexandre Scriabine
Préludes
On ne pourra que féliciter la jeune pianiste Racha Arodaky et le label Zig-Zag Territoires d'avoir choisi d'enregistrer les Préludes de Scriabine sur un autre instrument que les sempiternelles barbes métalliques qui broient nos oreilles quotidiennement au concert. Où que vous alliez écouter de la musique, vous entendrez obligatoirement telle sonorité, aujourd'hui lamentablement mondialisée, et point d'autres. Alors, d'emblée, bravo et merci !
En juillet 2002, Cyprien Katsaris inaugurait le modèle E 272 de la firme bayreuthienne Steingraeber & Söhne, construit de 1997 à 2002 et présenté pour la première fois à la foire de Francfort. Ce grand crocodile de concert rend hommage à son aîné de 1896, le premier piano à queue d'Edouard Steingraeber. Alors que la mode est à une recherche d'authenticité, voyant se multiplier les interprétations sur tel clavecin de tel musée, ou telle copie de pianoforte de telle année et de telle région, les amateurs de piano peuvent enfin goûter d'autres couleurs avec cet instrument fabuleusement équilibré, aux aigus moelleux à souhait qui ne roulent pas comme ceux de Fazioli, aux graves profonds qui n'écrasent pas comme ceux de Bösendorfer et ne creusent pas comme ceux de Steinway ; un son globalement contenu, cultivé, pas uniquement spectaculaire, sans non plus rappeler la brume de Bechstein. Bref, il réunit les qualités des meilleurs tout en offrant une vraie personnalité, telle qu'on pourra la découvrir sur cet enregistrement d'une grande sensibilité. Racha Arodaky fait sonner comme personne les Opus de jeunesse du compositeur russe, sans jamais céder à un trop facile brio. Sa lecture ressemble à son piano : loin du spectaculaire éclatement d'un Bordeaux qui, après l'épate, ne fait que ressembler à celui que l'on cultive sur la parcelle d'à côté, à des kilomètres à la ronde, elle est raffinée et secrète comme un vieux Bourgogne qui entretient la découverte et l'élévation sans se livrer.
À ma connaissance – mais je suis loin de tout savoir ! –, c'est la première fois que l'on grave un disque avec le Steingraeber E 272 ; l'essai est réussi, et invite mélomanes et pianistes (je l'espère) à approfondir les possibilités extraordinaires qu'il nous offre. Au delà de cet immense plaisir, nous devons reconnaître certaines réserves à l'égard de l'interprétation de Racha Arodaky qui, sans doute pour mieux jouir de la sonorité colorée de l'instrument, n'a que très rarement respecté les indications de tempo des partitions. De fait, c'est globalement très lent, parfois jusqu'à empêcher de percevoir les développements de certaines phrases. Certes, ces Préludes radicalisent avec elle un caractère aphoristique qui n'est pas du tout hors de propos, mais on s'y perd, et l'on pourrait parfois aussi risquer de s'y ennuyer.
BB