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Chroniques
Alexandre Scriabine – Karlheinz Stockhausen
pièces pour piano
De cette toute jeune artiste plus que talentueuse, c’est déjà le quatrième disque. Elle nous arrivait dès 2011 avec un premier album consacré à Haydn, Liszt, Prokofiev et déjà Scriabine (Sonate Op.6 n°1), chez Brilliant Classics. Le même label publie l’année suivante un programme entièrement consacré à Liszt qui ne doublonne pas la Rhapsodie espagnole du précédent. Le répertoire russe inspire la pianiste, comme ne le démentait pas son premier CD chez Decca, l’an dernier, avec les trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky. La nouveauté ? Ils sont accompagnés par des œuvres contemporaines ou presque : la Suite de Karol Beffa et, surtout, les cinq premiers Klavierstücke de Karlheinz Stockhausen, ainsi que les VII, VIII et IX.
Positivement critiqué ici et là, il génère tout naturellement une suite qu’on trouve avantageusement dans la présente gravure, dédiée au Klavierstück XII conçu entre 1979 et 1983, intitulé Étude pour Donnerstag aus Licht (1978/80), opéra en trois actes pour trois voix, huit instrumentistes, trois danseurs, chœur, orchestre et bandes, chapitre du mégalomane Licht. On imagine donc que Vanessa Benelli Mosell va poursuivre son investigation du corpus de Stockhausen dans de futurs enregistrements. L’obsession constante du cosmos, de l’énergie tellurique, de la lumière comme de la couleur relie assez simplement le maître allemand à Scriabine, bien que le premier naquit treize ans après la disparition de l’aîné. La précision, l’efficience des demi-teintes, mais encore l’intégration du théâtre de Stockhausen, tellement important dans son geste de la maturité, semblent un jeu d’enfant sous les doigts et dans la voix de l’interprète, joyeusement au service de cette scène d’opéra miniature d’un musicien qui l’influença directement, au terme d’une collaboration fructueuse.
Avant d’en arriver là, l’auditeur découvrira son approche infiniment sensible de la musique d’Alexandre Scriabine. Lorsqu’il écrit les Trois morceaux Op.2, le Moscovite n’a que dix-sept ans. La mélancolie de l’Étude en ut # mineur (Andante) gagne le jeu délicat de la belle Vanessa, déjà remarquée sur scène à onze ans et qui, depuis son remplacement de Martha Argerich à Londres en 2012, parcourt le monde qui n’a de cesse de l’applaudir (Berlin, Bologne, Hambourg, Jérusalem, Madrid, Munich, Valence, Rostov, etc.). Au centre, le charmant Prélude en si majeur, aphoristique. L’héritage de Chopin hante l’Impromptu-mazurka qui termine le cahier.
En regardant la liste des professeurs de Vanessa Benelli Mosell, on constate la surreprésentation des maîtres russes (Alexeev, Voskresensky, etc.), et il en va de même pour ses partenaires au concert. L’affinité de la jeune pianiste avec le monde slave est donc bien ancrée, comme le prouve sa version de la fougueuse et tragique Étude pathétique en ré # mineur Op.8 n°12 (1895) qui dessine la personnalité de Scriabine.
Cette personnalité s’affirme plus encore dans les Préludes Op.11, recueil terminé un an plus tard quoique commencé dès 1888. L’hommage à Chopin est avoué, et pourtant surviennent les prémisses des futurs Poèmes avec lesquels Scriabine se fera nettement Scriabine – à partir de 1903 et jusqu’à l’énigmatique Vers la flamme (1914). La grâce est au rendez-vous de ce cycle, presque maniériste, de l’ouverture Vivace au Presto furibond : élégance de la valse (n°2), chanson contemplative (n°5), tourmente (n°8), larmes (n°10), élan adolescent (n°11), impression funèbre (n°16), bonheur explosif (n°19), chopinade affirmée (n°22), l’avenir scriabinien se traçant avec le Prélude en ré bémol majeur Op.11 n°15 (Lento) dont Vanessa Benelli Mosell fait soigneusement naître le chant.
Hâte de découvrir la pianiste dans des concerti !
HK