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Chroniques
Alfredo Catalani
La Wally
Parce qu’il est mort de tuberculose avant ses quarante ans, Alfredo Catalani (1854-1893) est un compositeur strictement circonscrit à la seconde moitié du XIXe siècle, période de l’apogée de Wagner et de Verdi. Étudiant la musique d’abord à Lucques, sa ville natale en Toscane, puis à Paris, c’est finalement à Milan qu’il approfondit son art. La plupart de ses ouvrages lyriques y voient le jour : La falce (1875), Dejanice (1883), Edmea (1886), Loreley (1890) et, bien sûr, le dernier et plus célèbre d’entre eux, La Wally, créé le 20 janvier 1892 au Teatro alla Scala [[ire nos chroniques des productions de Cesare Lievi, d’Aron Stiehl, de Nicola Raab et de Barbora Horáková].
C’est Arrigo Boito, collaborateur régulier depuis qu’il fut son librettiste pour La falce, qui attire l’attention de Catalani sur un titre de l’actrice et romancière allemande Wilhelmine von Hillern (1836-1916), Die Geier-Wally (1873), traduit en italien en 1887. L’écrivaine s’y inspire de la vie de la peintre autrichienne Anna Stainer-Knittel (1841-1915) et, plus précisément, d’un épisode qui marqua son adolescence dans le Tyrol. À l’époque, pour protéger les troupeaux de moutons des attaques de rapaces, on descendait en rappel le long de la paroi rocheuse pour supprimer un nid d’aigle. C’est ce que fit la jeune Anna, portée volontaire. Plus tard, elle en fit un autoportrait que von Hillern vit dans une boutique à Innsbruck, en 1870, découvrant ainsi une histoire peu banale. Pour faire écho à ce caractère bien trempé, le roman accentue le côté garçon manqué de Walburga Stromminger, élevée à la dure par le plus riche fermier de la vallée, qui s’enflamme pour le beau Joseph Hagenbach, le tueur d’ours. En juillet 1891, Catalani rencontre l’écrivaine afin d’obtenir l’autorisation d’adapter son ouvrage avec l’aide de Luigi Illica – futur complice de Puccini, Giordano et Mascheroni –, et d’en supprimer la fin heureuse. Elle lui est accordée, pour le plus grands bonheur des mélomanes.
Enregistrée au Tiroler Landestheater, les 27 janvier et 3 février 2013, donc non loin du lieu où se déroule ce drame passionnel puisant dans les amours respectives de Wilhelmine et d’Anna dont se mêlèrent leurs parents, cette production repose sur la mise en scène efficiente de Johannes Reitmeier et les décors de Thomas Dörfler, qui alternent la roche glacée des montagnes, réunissant la communauté, et les éléments boisés plus intimistes du logis, dissimulant maintes douleurs. Les costumes typiques proposés par Michael D. Zimmermann, ainsi que des créatures inquiétantes rappelant le Krampus démoniaque de plusieurs carnavals européens, enracinent sans conteste le spectacle dans la région, sous les lumières de Johann Kleinheinz.
À l’instar d’une Carmen ibérique, Wally se déclare libre comme le vent et la lumière, préférant l’inconfort de l’inconnu à un mariage imposé. Susanna von der Burg incarne le rôle-titre de façon attachante, d’une voix ronde et endurante. Son trio amoureux inclut Paulo Ferreira (Hagenbach), ténor éclatant mais qui plafonne dans l’aigu, et Bernd Valentin (Gellner), baryton vaillant aux harmoniques joliment cuivrées. Sonore et nuancé, Marc Kugel incarne à merveille un père autoritaire (Stromminger) quand, d’une voix lumineuse, incisive et sûre, Susanne Langbein campe le jeune Walter. Kritina Cosumano (Afra) et Johannes Wimmer (un fantassin) complètent efficacement la distribution vocale, en plus du chœur maison préparé par Michel Roberge. En fosse avec le Tiroler Symphonieorchester Innsbruck, Alexander Rumpf soigne le vérisme de la partition par une direction de caractère.
LB