Chroniques

par françois-xavier ajavon

Alla Pavlova
Symphonies n°2 « For the New Millenium » – n°4

1 CD Naxos (2005)
8.557566
Alla Pavlova | Symphonies n°2 « For the New Millenium » – n°4

Naxos a entrepris, dans sa collection 21st Century Classics, de rendre accessible l'œuvre de la compositrice ukrainienne, installée à New York, Alla Pavlova. Excellente initiative ! On est confondu devant le business model de Naxos qui s'offre le luxe ultime de proposer à si vil prix des trésors inédits de cette sorte. Car l'aventure pouvait sembler hasardeuse : Pavlova est parfaitement inconnue en France, et guère davantage dans le reste de l'Europe ; sa musique est élégante, envoûtante, mais elle paraîtra à certains – qui se reconnaîtront – si classique, si archi-classique, si romantique, si archi-romantique, que cela aurait pu décourager la maison de disque… qui ne réussira pas à amadouer – avec cette galette – la plus avant-gardiste et la plus hype des presses musicales… Mais que nenni ! Le label ne propose pas seulement un CD Pavlova, pas deux, pas trois, mais une série entière – soyons fous ! – avec plusieurs parutions prévues tout au long de l'année 2006.

Pavlova ne se positionne donc pas dans l'avant-garde contemporaine, comme souligné ci-avant, mais en digne héritière de l'histoire musicale de ses racines russo-ukrainiennes. Née en Ukraine soviétique en 1952, en pleine effervescence musicale – Prokofiev et Staline composaient encore, dans leurs domaines respectifs –, elle quitta sa patrie pour Moscou en 1961. Diplômée de l'Académie Gnésine en 1983, l’élève d’Armen Shakhbagian compose cependant depuis les années soixante-dix toutes sortes d'œuvres intéressantes pour voix, ensembles de chambre ou grand orchestre. Parallèlement à la construction patiente de ce catalogue, Pavlova mène une carrière de musicologue, notamment en Bulgarie pour le compte de l'Union Bulgare des Compositeurs (de 1983 à 1986), puis pour le Russian Musical Society Board (de 1986 à 1990). Ensuite, le contexte lui devenant certainement moins favorable à l’Est, la belle s'auto-transfuge aux États-Unis.

Ce détail – l'installation aux USA – n'est pas de ma part une coquetterie people sur la vie privée de Pavlova, puisqu'elle permet de comprendre le sens de la Symphonie n°2, clou du programme proposée par ce disque. L'idée originale de l'œuvre, composée entre 1997 et 1998, était de rendre un hommage au siècle passé et de célébrer le millénaire à venir. C'était donc une millenium symphony. C'est ainsi qu'elle connut sa création en 1999 à Moscou et son premier enregistrement peu après. Mais Pavlova, après la création de sa première page d'envergure pour orchestre, ressentit le besoin d'apporter des modifications, des améliorations, et d'adjoindre à sa partition une emphase motivée par l'état d'esprit des New-yorkais un an après les attaques terroristes de 2001. Elle l'explique elle même dans le livret : « Je révisais les deux dernières pages de cette partition, le 3ème mouvement, le 11 septembre 2002, exactement un an après la tragédie. Je me souviens des vents violents, ce jour-là sur New York ». Et d'expliquer que ce contexte donna à l'œuvre une tonalité bien plus tragique que sa version initiale. Ambitieuse, cette Symphonie n°2, en quatre mouvements, entend parler du rapport de l'homme à l'univers – presque dans un sens mahlérien, et peut-être plus particulièrement de l'individu à la communauté des hommes. Les premier et dernier mouvements expriment la perception individuelle de l'univers par l'homme – dont la solitude est accentuée par le rôle très important attribué aux soli de violon –, les deux mouvements centraux – un fandango furieux et une berceuse romantique – dépeignent l'Univers avec une ampleur complexe et paradoxale, entre ombre et lumière. Le langage musical hésite ça et là entre la musique de film – qu'elle a pratiqué – et ses grands maîtres portés par un délicieux vent d'Est : Prokofiev, et surtout Khatchatourian, qui semble être caché en embuscade derrière chacune de ces notes.

On retrouve cet univers à la fois très lyrique et intensément dynamique dans la Symphonie n°4, écrite dans une ferveur un peu sauvage – audible au final – au cours de l'année 2002. Il s'agit d'une œuvre d'une vingtaine de minutes, construite en un seul bloc, pour grand orchestre symphonique avec orgue. Dans cette confrontation interne du lyrisme légèrement emphatique, mais toujours maîtrisé, et d'une expression mélodique inépuisable, elle retrouve encore Prokofiev et Khatchatourian, ses maîtres après Dieu, qu'elle modernise au passage sans trahir leur héritage. Un dernier argument de vente : l'Orchestre symphonique Tchaïkovski de la Radio de Moscou est placé sous la direction de Vladimir Fedosseïev, l'un des plus grands chefs russes ! Inutile de préciser qu'il rend justice à ces partitions pleines de promesses… car Pavlova est encore jeune ! La notice, écrite par le compositeur lui-même, est disponible en langues anglaise et allemande. L'enregistrement digital, dans un studio de radio en 2003, est irréprochable.

FXA