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Chroniques
André Messager
L’amour masqué
Actes Sud propose un joyau des années folles, L’amour masqué, dans une superbe édition contenant le livret intégral et un nouvel enregistrement de la comédie musicale. C’est un moment d’enchantement absolu en ces temps de morosité. À ce titre, l’incontournable « tube » de la partition, J’ai deux amants, a la vertu de chasser le moindre spleen. Le jeune Sacha Guitry avait résolu d’écrire des spectacles mêlant théâtre et chansons, sur mesure pour la nouvelle passion de sa vie, la divine Yvonne Printemps qu’il venait d’épouser. Entièrement en vers, le texte est, comme à l’accoutumée, un délice de malice raffinée et d’humour, un brin licencieux. Guitry demande au vétéran André Messager (1853-1929) de mettre ce jeu de masques en musique. « Élégance, charme et grâce », c’est ainsi que Charles-Marie Widor résumait l’art de cet élève de Saint-Saëns et Fauré. En 1923, le compositeur, alors septuagénaire, était riche d’une carrière particulièrement fêtée qui comptait opéras, opérettes et musiques de ballet, aux côtés d’une carrière de chef d’orchestre à l’Opéra Comique, à l’Opéra de Paris et même à Covent Garden.
Elle, vingt ans, profite largement des libéralités de deux amants, un Baron et un Maharadjah. Un jour, chez un photographe, Elle subtilise la photo d’un bel inconnu, Lui, dont elle tombe amoureuse sans jamais l’avoir rencontré. Lui qui, en fait, a vingt ans de plus que sur le cliché dérobé, se rend chez Elle pour récupérer sa photo. Elle le prend pour le père de son coup de foudre qu’Elle invite à un bal masqué birman organisé par le Maharadjah. Il s’y rend, ainsi que les autres protagonistes qui s’encanaillent avec les soubrettes. Lui qui a passé la nuit avec Elle, finira par lui avouer la supercherie. Elle, fidèle à ses principes, aura bien deux amants, le père et le fils qui ne font qu’un… Si vous n’avez pas tout compris, ce n’est pas bien grave, la beauté des mélodies endiablées et de l’orchestration feront le reste.
En 2013, l’Opéra Grand Avignon donnait une série de représentations de L’amour masqué dont le succès fut immédiat et qui font l’objet du présent album. La distribution est identique et parfaitement homogène. Sophie Marilley, jeune mezzo-soprano suisse, et l’acteur-metteur en scène Jean Manifacier reprennent les rôles des créateurs Printemps et Guitry, avec beaucoup de verve. Dommage qu’Elle chante d’une voix inégale, un peu pointue et dans le masque, ce qui nuit au naturel et à la gouaille charmante qu’on attend ici. Elle s’en sort mieux avec la parodie plus opératique de L’amour est enfant de bohème d’après Carmen de Bizet, à la fin du deuxième acte. Le reste de la distribution est d’excellente qualité, avec en tête le Baron de Frédéric Bang-Rouhet et le Maharadjah d’Ivan Thirion. Ces jeunes chanteurs sont également rompus à l’art lyrique et l’opérette. Ils ne roulent pas les r et jouent aussi bien qu’ils chantent, participant ainsi au rajeunissement de cette comédie délicieusement surannée.
Enfin, l’Orchestre Régional Avignon-Provence, superlatif, est dirigé de main de maître par Samuel Jean, avec entrain et fougue. Espérons qu’avec le succès répété de Ciboulette de Hahn et des Mousquetaires au couvent de Varney, cet Amour masqué préludera à la résurrection de nombreux trésors, aujourd’hui oubliés, de l’opérette française.
MS