Chroniques

par laurent bergnach

Andrés Isasi
musique de chambre

1 CD Naxos (2015)
8.572462
Le Quatuor Isasi joue les quatuors n°1 et N°5 d'Andrés Isasi y Linares

Affichant un goût éclectique et cosmopolite qui embrasse la période romantique jusqu’à la musique d’aujourd’hui – mais avec une préférence marquée pour le XIXe siècle –, le Quatuor Isasi met à l’honneur, depuis quelque temps, le musicien oublié auquel il emprunte son nom. Depuis 2009, en effet, l’altiste Karsten Dobers s’est chargé de revoir le manuscrit de divers opus chambristes signés Andrés Isasi y Linares (1890-1940), puis de les enregistrer avec différents confrères au Château d’Arcangues, près de Biarritz – un lieu qu’on n’imagine pas sans âme puisque Stravinsky, Ravel, Rubinstein ou encore Thibaud y donnèrent des récitals !

D’origine basque, Andrés Isasi perd prématurément ses parents et découvre la musique, enfant, chez le grand-père qui le recueille. Il commence à étudier le piano et la composition avec Unceta, puis, âgé de dix-huit-ans, présente au public ses premières pièces influencées par Grieg et Dvořák. Éprouvant le besoin de voyager, le natif de Bilbao gagne Berlin et les classes de Karl Kämpf et Engelbert Humperdinck où s’apprend l’art des grandes formes orchestrales, dans un style romantisme tardif. Ce que l’on nomme sa période allemande (1909-1914) fourmille d’ailleurs de poèmes symphoniques aux titres évocateurs – Erotische Dichtung Op.14 (Poème érotique, 2012), Die Sünde Op.19 (Le péché, 1913), etc. Le retour au pays ne fait pas taire l’amour d’Isasi pour l’art d’outre-Rhin, si bien que sa carrière de pianiste-concertiste, dans les années vingt, préfigure les difficultés croissantes à faire jouer dans les cercles basques et espagnols une musique « germanique », dégagée d’un folklore nationaliste. C’est donc quasiment oublié qu’il meurt, au début de la Seconde Guerre mondiale.

Au catalogue de celui qui aime aussi écrire de la poésie et enrichir de chants d’oiseaux certaines compositions, on trouve six quatuors, dont deux seulement joués de son vivant et trois supposés inachevés. Les Isasi livrèrent d’abord les Quatuors en mi mineur Op.83 n°0 (1908) et en la mineur Op.27 n°2 (1920) [Naxos 8.572463], puis les Quatuors en mi mineur Op.30 n°3 (1921) et en ré majeur Op.31 n°4 (1921) [Naxos 8.572464], jusqu’au présent volume qui réunit, gravés en première mondiale, les Quatuors en sol majeur Op.11 n°1 (1911/1914) et en ut mineur Op.32 n°5 (1921).

Créé par la Sociedad Filarmónica le 3 mai 1911, l’opus 11 est dédié à Edith Humperdinck, fille aînée de l’auteur du Königskinder [lire notre critique du CD], laissant supposer une idylle tant « il émane dans les deux premiers mouvements une tendresse, un sentiment amoureux et une sensualité raffinée évidente ». Trois ans plus tard, à Stockholm, le Quatuor Ruthström présente la version remaniée – dont un troisième mouvement tout neuf. Charmante, gracieuse et un rien passionnée paraît, il est vrai, la première moitié, qui conduit à une espièglerie certes tourmentée (III), puis à une joviale sérénité (IV).

L’opus 32 est donné à titre posthume, le 2 décembre 1942, également à Bilbao. Dédié à Brahms, ce quatuor revendique d’emblée la filiation, avec une inquiétude irisée de lumière. Les deuxième et troisième mouvements offrent un apaisement digne d’une berceuse, assez lyrique, avant de pétillantes ritournelles. La pièce s’achève dans une allégresse contenue, et le programme avec la Sonate pour violon en fa mineur Op.25 (1917), défendue par Anna Bohigas et Marta Zabaleta au piano.

LB