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Chroniques
Anne-Marie Minella
Dialogues contemporains – Les collaborations de Jean-Yves Bosseur
En annexe du livre qu’elle consacre aux collaborations extra-musicales de Jean-Yves Bosseur, Anne-Marie Minella glisse une biographie des plus succinctes : « né en 1947 à Paris. Études de composition à la Rheinische Musikschule de Cologne (Allemagne) avec K. Stockhausen et H. Pousseur. Doctorat d’État (philosophie esthétique) à l’Université de Paris I. Directeur de Recherche au CNRS jusqu’en 2012. Prix de la Fondation Royaumont (France), de la Fondation Gaudeamus (Pays-Bas). Diapason d’or de l’année 1998 pour la Messe. » Pour mieux connaître le créateur, il faut s’attacher au portrait-préface – « Contrarié dans sa vocation de musicien par un père qui lui a imposé des études plus convenues, […] il pratique ce qu’on pourrait appeler un postmodernisme “doux” » – et surtout à la quinzaine d’entretiens qui ponctuent dix chapitres thématiques.
Adolescent, Jean-Yves Bosseur découvre la microtonalité, chère à Wyschnegradsky, et le sérialisme qui le marque plus profondément, au point que la discontinuité fait partie de son héritage. Il s’intéresse aussi aux musiques traditionnelles orientales pour lesquelles son intérêt perdure (« j’ai été passionné par la musique balinaise assez tôt, j’avais vingt ans […] Mais après un séjour sur place, j’ai préféré la musique javanaise plus méditative, moins virtuose »). En 1968, le jeune Bosseur est impliqué dans les répétitions de Votre Faust d’Henri Pousseur, opéra découvert en concert à Bruxelles [lire notre chronique du 25 novembre 2016], et noue une relation de longue durée avec l’écrivain Michel Butor. Quelque temps plus tard, il signe sa première collaboration cinématographique pour Viva la muerte (Arrabal, 1971), suivis de plusieurs films animaliers pour lesquels il reconnait l’influence de Michel Fano.
À partir de 1977, Bosseur collabore avec l’homme de théâtre Philippe van Kessel (« […] la musique est elle-même en position de collage par rapport à l’action scénique, je ne fais donc qu’accentuer un aspect qui existe de fait […] »), durant trois décennies qui le verront aussi participer à l’Atelier de Création Radiophonique de France Culture (« la radio me permet de travailler avec des sons et pas seulement avec des notes »). Au début des années quatre-vingt, Bosseur délaisse le travail à la table pour mieux baigner dans le son (« grâce au piano, j’ai établi un meilleur équilibre entre le calcul et l’intuition dans ma façon de composer »). Il renoue avec la Bretagne paternelle et la musique traditionnelle européenne (Irlande, Corse, Sardaigne, etc.) En ce début de XXIe siècle, il collabore avec nombre d’auteurs de poésie (Baudry, Dorion, Keineg, etc.) tout en se préoccupant de transmission lors de résidences d’artiste (atelier dunkerquois sur les instruments préparés, par exemple).
Comme tout inventeur, Jean-Yves Bosseur a ses préférences. Méfiant envers l’opéra et la world music, ennemi de la virtuosité et des sons artificiels, il aime explorer les qualités de toucher et de résonnance d’un instrument, surtout s’il s’avère débarrassé du poids culturel encombrant (clavicorde, bombarde, vieille à roue, orgue de barbarie, carillon chinois, etc.). De même, il apprécie pouvoir remettre en question ses « vieux réflexes » au contact des différents partenaires d’un projet. En 1981, par exemple, sa confrontation à Beckett l’amène à épurer un travail trop complexe et bavard – « la disparition progressive du son jusqu’à l’émergence du silence reste pour moi une expérience sensible inestimable et illimitée », précise par ailleurs cet admirateur de Feldmann, jaugé comme un idéal de simplicité.
Dialogues contemporains, c’est aussi la rencontre d’une multitude de créateurs qui ont œuvré avec le musicien. Qu’ils soient poète, peintre, vidéaste ou comme lui musicien, Anne-Marie Minella donne à une vingtaine d’intervenants l’occasion de parler de leur travail, de musique en général (bien souvent Cage, Messiaen, Pärt et Vasks) et de Bosseur en particulier. Si, comme le héros de ce livre, l’on est soucieux de ne pas étouffer sous une étiquette, ces voix multiples s’avèrent pleines d’enrichissement.
LB