Chroniques

par bertrand bolognesi

anthologie de musique contemporaine slovaque (vol.2)
Hatríka – Hrušovský – Parík – Salva – Zeljenku

1 CD Slovak Music Fund (1993)
SF 0010 2111
anthologie de musique contemporaine slovaque (vol.2)

Malgré un espace d'expression modeste, beaucoup d'œuvres de chambre reflètent autant, sinon plus, la personnalité de leur auteur que leurs autres opus. C'est particulièrement vrai avec ce disque, puisque la musique slovaque contemporaine est composée en majorité d'œuvres pour formation réduite. Voici une sélection représentative d'une génération, née autour des années trente.

Depuis le tout début de sa carrière, Ivan Parík (né en 1936) est estimé comme maître du fragment et de la miniature. Son sens du détail et son goût pour les sons hautement colorés servent de base au travail chambriste. Le quatuor à cordes Musique pour Miloš Urbásek (1981) – développant dans la brièveté une riche structure segmentée dans une dynamique nuancée – fut composé à partir des tableaux d'un ami peintre. Dès l'abord, c'est une œuvre qui s'annonce d'un lyrisme volontiers intrusif, encore influencée par l'œuvre de Chostakovitch. L'écriture s'avère minutieuse, et l'interprétation toujours précise, bénéficiant d'un violoncelle magnifique. La sonorité générale semble avoir été particulièrement travaillée.

Ilju Zeljenku (né en 1932) a composé ses Chansons aztèques pour soprano, piano et percussions en 1986. L'ensemble de ses dernières (bongos, tam-tam, cymbales, xylophone, vibraphone) évoque, comme des onomatopées, l'atmosphère ancestrale propre au texte du poète qui a inspiré le compositeur. On n'est plus du tout dans la même esthétique : le compositeur utilise volontiers des ostinati comme dans le folklore d'Europe centrale, qui ne sont pas sans rappeler certains traits de Bartók ou Janáček, dans un climat globalement mystérieux (caractère incantatoire de quelques fins de phrases, glissandi ou Sprechgesang). Le traitement de la voix rejoint parfois celui que l'on peut rencontrer dans des œuvres relativement anciennes de György Kurtág. La chanteuse offre un timbre généreux, une émission bien projetée, et une certaine richesse de couleur.

Tadeáš Salva (1937-1995) a composé Ballade pour violoncelle solo en 1989. Comme dans ses autres compositions, on perçoit l'influence de la musique folklorique (utilisation de la mélodie modale). La ballade, outre son effet dramatique, permet à Salva une réflexion sur le vivant. « Tous les phénomènes naturels, dit-il, et ceux de la vie humaine ont une dualité : naissance-mort, santé-maladie, jour-nuit, chaleur-froideur, etc. Dans le langage musical lui-même, nous avons ce contraste polyphonie-homophonie, dissonance-consonance, construction vocale-œuvre instrumentale, thème principal-thèmes secondaires, tempo lent-tempo rapide... Dans ma Ballade, j'ai essayé d'adopter un monologue avec le dialogue qu'implique la forme de la ballade. » Il semble cependant que tous les stéréotypes de la littérature du XXe siècle pour violoncelle soient ici réunis...

Chanson pour voix de femme (d'homme) basse, alto et orgue date de 1985. Juraja Hatríka (né en 1941) l'a composée à partir d'un texte de Rabindranath Tagore. Quand on évoque ce compositeur, son intérêt pour la littérature et la philosophie ne peut être oublié. On peut également remarquer dans son œuvre une certaine bipolarité, une confrontation du réel avec le rêve, de l'émotion avec le rationnel, du traditionnel avec le contemporain. Canzona... est dédié à la mémoire du compositeur Alexander Moyzes (1906-1984), auteur notamment d'une douzaine de symphonies, et qui fut le professeur d’Hatríka. L'œuvre est représentative de son travail sur la voix, de sa volonté d'évoquer le monde intérieur de l'homme contemporain. Cette pièce affirme un classicisme oscillant entre Franck et Britten, renforcé par une utilisation de l'orgue qui n'évite pas les effets de tremblants et ses drames.

La production d’Ivan Hrušovský (né en 1927) porte la marque d'une synthèse entre les éléments traditionnels européens et les nouvelles techniques de composition. Son Quatuor à cordes n° 2 date de 1990. Tandis que les éléments sonores (glissando, tremolo, etc.) esquissent une tension dramatique, la ligne mélodique reflète douleur et tragédie. On y explore plusieurs types d'attaques, d'appréhensions de la vibration, des jeux sur les harmoniques, de nombreuses techniques très diversifiées, et ce sans établir un catalogue pour autant. Cette œuvre aura particulièrement retenue notre attention. Son esthétique est personnelle, totalement affranchie de Chostakovitch ou du néo-classicisme.

BB