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Chroniques
anthologie English Song
un siècle de chansons anglaises
Ce double CD à prix très attractif revient sur plus de dix ans d'enregistrements du patrimoine de la song anglaise par l'excellent label discount Naxos – dont on ne pourrait plus se passer aujourd'hui – et sa filiale spécialisée dans les raretés musicales : Marco Polo. En conséquence, on salue d'abord le long et minutieux travail qui a été fait durant ces dernières années par cette maison de disques révolutionnaire pour rendre disponible et accessible un répertoire souvent contemporain et rare dans les meilleures conditions économiques possibles.
Cette passionnante anthologie musicale revient sur un siècle de songs à travers cinquante-trois chansons de quatorze compositeurs. Cela permet d'abord de remettre les choses au point sur le plan de l'histoire de la musique : le Lied allemand n'a jamais eu le monopole de la voix, pas plus que la mélodie française. On redécouvre donc cette tradition anglaise avec plaisir, d'abord parce qu'elle nous prouve que l'on peut faire chanter la langue anglaise à l'instar de l'italien et de l'allemand, ensuite parce qu'elle remet en cause cette idée selon laquelle la musique anglaise aurait rencontré un Moyen Âge obscur et infertile entre les deux monuments que sont Purcell et Britten. C'est faux, et cette anthologie nous le prouve : une tradition musicale vivace, inventive, attachée au patrimoine national, s'est développée outre-Manche durant au moins tout le XXe siècle.
Vous connaissez bien Holst pour son poème symphonique Les planètes, mais savez-vous qu'il s'était adonné à la song ; vous connaissiez Vaughan Williams pour ses symphonies, saviez-vous qu'il a composé des chansons ? L'intérêt de cette anthologie est aussi de bien nous faire sentir que la song est une tradition à laquelle rares sont les compositeurs britanniques à avoir pu échapper. Et c'est bien ainsi. On reste le souffle coupé à l'écoute des mots de Shakespeare mis en musique avec autant de subtilité par Ralph Vaughan Williams pour piano et plusieurs voix d'hommes dans It was a lover and his lass. À l'écoute de Margarete's Cradle song de Gustav Holst (texte de William Blake), on prend conscience que les Anglais savent composer des chansons, mais aussi écrire des poèmes, et que la conjonction de ces deux talents est toute particulière, et ne ressemble vraiment à rien d'autre dans l'histoire de la musique.
On passera peut-être sur les songs un peu sentimentales et désuètes de Roger Quilter ; mais on découvrira avec délectation l'univers musical de Lord Berners (1883-1950) que Stravinsky en personne considérait comme le compositeur anglais le plus intéressant de son temps – les trois titres présentés ici, notamment The Rio Grande, laissent entrevoir un talent et une personnalité passionnante. On en passera par les accents facétieux et vaguement canailles de Betty and Johnny d’Eric Coates. On prendra le temps de s'arrêter pour contempler la douce mélancolie de The Cherry Tree et la fausse bonhomie de la ballade Dusk (1949) composées par le méconnu Cecil Armstrong Gibbs, élève de Vaughan Williams. On découvrira avec bonheur l'univers dePeter Warlock, ce compositeur mort à trente-six ans dans un étrange suicide au gaz, auteur de multiplessongs aux caractères très variés, allant de la chanson à boire Peter Warlock's Fancy à la profondeur de Sad song ou deBethlehem Down.
Avec l'œuvre vocale de William Walton (1902-1983) nous entrons dans une modernité musicale que Britten a rendue bien familière par ses propres cycles. Caressant partout la chanson populaire (le jazz plus que la pop toutefois…), mais gardant un sérieux à toute épreuve, Walton renouvelle le genre et s'arrache tout à fait de la tradition du lied allemand. Lennox Berkeley (1903-1989) a certainement été éclipsé un peu cruellement par le Roi-soleil Britten, qui était par ailleurs l'un de ses proches amis. Sa splendide et mélancolique Lay your sleeping head, my love des années 1939-40 est la mise en musique délicate et passionnée d'un texte du poète W.H. Auden (l'un des deux ou trois vrais poètes du XXe siècle ?), dédié à Britten.
La boucle est bouclée : l'anthologie se termine donc par une poignée de chansons de Benjamin Britten. Évidemment, avec lui une page se tourne et nous changeons de catégorie : n'est-ce pas le seul génie de cette anthologie, le seul qui restera ? Outre deux arrangements de Folk songs britanniques, nous retrouvons un extrait du magnifique cycle Winter Words des années cinquante, The choirmaster's Burial, et deux songs sur des textes de Auden extraites des cycles On this Island (publié en 1937) et d'un cycle posthume,Four cabaret songs.
Les équipes d'interprétation de grande qualité, regroupées sur onze ans d'enregistrements, réunissent des noms aussi illustres que ceux de Philip Langridge, Dame Felicity Lott ou Ian Partridge. Que demander de plus ? Le livret, en anglais seulement, propose un texte de présentation parfaitement clair et synthétique et – Ô miracle ! – la quasi intégralité des textes des chansons ! Un voyage dépaysant et épatant de 2h30 au pays de la Dame de fer et de la gelée de couleur, duquel on ressort plus intelligent, car plus imprégné d'un pan non négligeable de culture européenne ! Comme quoi John Lennon et Paul McCartney ne sont pas les deux seuls Anglais à savoir écrire des chansons…
FXA