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Chroniques
Antonín Dvořák
Requiem Op.89
Comme celui de Giuseppe Verdi composé dix-sept ans plus tôt, le Requiem d'Antonín Dvořák est destiné au concert et non à accompagner un service funèbre. Le siècle romantique vit ainsi fleurir un grand nombre d’oratorii et d’œuvres religieuses destinés aux salles de grande envergure, spécialement en Angleterre. Antonín Dvořák n’était pas en reste. Infatigable voyageur, il avait su se faire apprécier des Britanniques dès 1870. La société anglaise avait été enthousiasmée par ses pages chorales dont le fameux Stabat Mater au lyrisme très opératique. Pour leurs festivals, Birmingham et Leeds lui avaient même commandé Les chemises de noces et Sainte Ludmilla, faute d’un opéra que Dvořák avait du mal à composer, compte tenu de son activité fort chargée. Si le poignant Stabat Mater est profondément marqué par les tragiques disparitions consécutives de sa fille et de son fils, le Requiem s’inscrit aussi dans une ambiance pathétique et inquiétante, mais dans une écriture idiomatiquement plus slave que latine. Certains y ont vu l’aboutissement d’un long processus de deuil commencé quatorze ans plus tôt avec le Stabat Mater, mais réapproprié par l’école nationale tchèque. Sans qu’aucune pression particulière ne se soit manifestée, il semble que le musicien ait pris le temps de composer cet opus aux proportions imposantes (plus d’une heure et demie), avec un effectif de quatre solistes, un Chœur important et un renfort significatif de cuivres et de percussions, dont des cloches. Il fut créé le 9 octobre 1891, à Birmingham où l’accueil chaleureux égala l’énorme succès du Stabat. Cette œuvre de la maturité reste malgré tout peu fréquentée en dehors des pays slaves. En 2011, c’est ce Requiem qui fut choisi pour les funérailles nationales du dramaturge Václav Havel, président de la République tchèque.
Avec les forces de l’Orkiestra Symfoniczna Filharmonii Narodowej et son Chœur, Antoni Wit vient donc compléter une discographie dominée par les versions historiques d’István Kertész et de Karel Ančerl. Ce chef polonais prolifique a enregistré plus de deux cents ouvrages, faisant la part belle à la découverte de la musique polonaise et de la musique slave en général, sans pour autant négliger des œuvres phares du grand répertoire comme la Turangalîla-Symphonie de Messiaen. Sa fidélité légendaire à la firme Naxos, avec laquelle il collabore depuis près de trente ans, lui a permis d’offrir un répertoire original et méconnu du grand public, couronné de nombreux prix.
Pour cet enregistrement, Wit s’inscrit dans un projet postromantique, proche de l’autre génie de la musique tchèque, Leoš Janáček. Il n’hésite pas à affirmer le côté sombre et sauvage de ce Requiem, les chœurs reproduisant par moment l’intensité de la liturgie slavonne à la fin du Graduale etdu Tuba mirum. Le Dies Irae et le Confutatis effraient par leur pulsation diabolique qu’apaise à peine un chœur en état de grâce. De façon contrastée, le chef insuffle parfaitement la grandeur et la grâce sereine qui doivent régner pour la seconde partie de l’œuvre, partir de l’Offertorium.
Wit connaît bien le quatuor de solistes d’une qualité très honorable, réuni pour l’occasion par Naxos. Christiane Libor, soprano dramatique allemand formée par les époux Fischer-Dieskau et Brigitte Fassbaender, y brille particulièrement, tout comme Eva Wolak, impressionnant contralto polonais, spécialisée en musique religieuse. On sera plus réservé sur le ténor allemand Daniel Kirch, peu avare de portamento et de vibrato, hors de propos ici. Il reste étranger à ce répertoire qu’il tire vers l’opéra. Janusz Monarcha est une basse polonaise profonde qui chante Boris Godounov et qui, lui, a la vocalité requise et l’intelligence du style.
On regrettera un livret sommaire et parfois imprécis, exclusivement en anglais.
MS