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Chroniques
Antonín Reicha
quatuors à cordes
« Féminin à la fois d’angles et de rondeurs, plantureux et puissant, sensible et véhément » (dixit Catherine Peillon, en charge du label en présence), le Quatuor Ardeo s’intéressait, voilà quelques années, à des raretés de Charles Koechlin [lire notre critique du CD]. Olivia Hughes, Carole Petitdemange (l’une jouant un violon de Carlo Tononi, l’autre de Jean-Baptiste Vuillaume), Lea Boesch et Joëlle Martinez enregistrent à présent un programme inédit consacré à Anton Reicha (1770-1836), compositeur, théoricien et pédagogue, né à Prague mais mort Français, qui les avait réunies au Palazzetto Bru Zane jadis [lire notre chronique du 16 octobre 2010].
Orphelin de père rêvant de musique, Reicha a dix ans quand il rejoint son oncle Joseph, violoncelliste virtuose bientôt nommé à la Hofkapelle de Bonn. Plus tard, dans la ville où naquit Beethoven – son exact contemporain avec lequel il fréquente l’Université (algèbre, philosophie) –, le jeune homme occupe une place de flûtiste dans l’orchestre de cour. Entre 1794 et 1808, Reicha découvre Hambourg où il enseigne le piano et la composition, Paris qui apprécie sa musique symphonique, puis Vienne où il se lie d’amitié avec son professeur Haydn. Napoléon menaçant la capitale autrichienne, l’artiste retourne définitivement à Paris où il donne des cours privés (Onslow, Liszt) puis institutionnels (Berlioz, Franck, Gounod).
Dans le domaine chambriste, Reicha s’est montré particulièrement prolifique, avec vingt-quatre quintettes à vent [lire notre critique du CD] et une quarantaine de quatuors à cordes (dont la moitié demeure toujours inédite). Ce disque permet donc de redessiner le paysage français de la première moitié du XIXe siècle, période qu’on a longtemps crue stérile en matière de musique pour formation réduite.
Le Quatuor en do mineur Op.49 n°1 est le quatrième des huit publiés à Leipzig, entre 1804 et 1805 – Beethoven a fait paraître ses tout premiers avec succès, quelques années plus tôt [lire notre critique du DVD]. Plutôt dépouillé, l’Allegro assai présente une foule de caractéristiques qui créent la tension (intrigue, suspense, tourmente, etc.). Le mouvement suivant balance entre profane et sacré (une prière à la simplicité de comptine populaire), tandis que l’avant-dernier s’avère tendrement allègre, porté par une interprétation incisive et étroite. Très inventif et fragmenté, l’Allegro final surprend par ses touches successives, tels des coups de pinceaux furtifs.
Moins original, le Quatuor en sol majeur Op.90 n°2 paraît à Bonn vers 1819. Son amabilité initiale éveille un Andante qui assume l’esthétique de la fin XVIIIe. La seconde partie est dansante, joueuse et alerte. Publié à Paris dans le milieu des années vingt, le Quatuor en fa mineur Op.94 n°3 marie la fougue et la maîtrise des deux pièces précédentes. Le premier mouvement surprend en continu, tantôt grave et lancinant, tantôt gracieux mais incisif, etc. L’Andante maestoso semble flotter, disloqué dans une inertie inquiétante qui laisse place à une humble mélancolie. Le dernier mouvement se veut vivace, sans renoncer à l’élégance.
LB