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Chroniques
Antonio Caldara
cantates – sonates
Le violoncelliste Antonio Caldara (1670-1736), au service de nobles successifs, passa de Venise, sa ville natale, à Rome, avant de mourir Vice-Kapellmeister à la Cour de Vienne. Il se fit connaître par l'écriture de plusieurs opéras, des pièces instrumentales et vocales, dont les plus célèbres demeurent sans doute les oratorios Maddalena ai piedi di Cristo et La Passione di Gesù Cristo. Ses Sonate a tre Op.1, pour deux violons et basse continue, sont publiées en 1693. Elles seront reprises par de nombreux éditeurs à travers l'Europe. Cette popularité s'explique par un respect des traditions auquel se mêle l'inventivité de Caldara. L'influence de Corelli, en particulier, est perceptible dans la séquence en quatre mouvements (lent-rapide-lent-rapide) et dans la Chaconne d'un seul tenant qui conclura son opus 2, datant de 1699. Dans cette dernière, la basse répète, avec peu de variantes, une phrase de quatre mesures que vient agiter la ligne mélodique du violon.
Le nombre de cantates composé à Rome, entre 1709 et 1716, au service du Marquis Francesco Maria Ruspoli, s'élève à plus de deux cents. Elles sont variées : cantates pour voix solo et basse continue, pour voix accompagnée de violons, pour voix, cordes et hautbois, pour soprano, alto et cordes, etc. Si les cantates en solo comportent une simple séquence air-récitatif-air, celles pour deux voix solistes sont plus développées. Quel duolo del moi core et Diparita Amorosa datent respectivement de 1712 et 1714. On y fait la connaissance de bergères et de bergers soumis au dédain et à l'indifférence amoureuse – « Oiseaux aux mille grâces / Parlez à ma cruelle bien-aimée / Chantez pour charmer ses sens / Dites-lui que vous n'avez point de cœur / et que pourtant vous comprenez ma souffrance. » Et tout s'achemine vers d'heureuses réconciliations...
Fons Musicae – Source de Musique – a été fondé en 1997 par Yasunori Imamura. Ce luthiste est un des rares à être demandé aussi bien en tant que soliste que comme continuiste (technique perfectionnée auprès de Ton Koopman et Johann Sonnleitner). L'ensemble qu'il dirige s'est spécialisé dans les musiques française et italienne des XVIIe et XVIIIe siècles, souhaitant les interpréter avec enthousiasme et inventivité. Dès le Sinfonia de la première des deux cantates au programme de ce disque, il offre une lecture vive, nuancée, bénéficiant d'un art de l'ornementation d'une grande élégance, sans jamais s'appesantir. C'est précis, clair et sans emphase.
Pascal Bertin – que nous avions rencontré il y a quelques temps [lire notre dossier de mai 2003] – sert les personnages de bergers par une appréciable articulation dans les récitatifs, et toujours beaucoup de sensibilité. Il s'avère particulièrement gracieux dans Augeletti vezzosetti, révélant la douce mélancolie et la digne imploration de cet air avec grande délicatesse. Plus loin, il mobilise d'autres couleurs, pour évoquer un sentiment oscillant entre la peine et la colère dans T'incolpa per mendace, par exemple. Son interprétation est intelligente et nuancée : dans Torna l'alma, on ne peut pas à proprement parler de jubilation vocale, et l'intérêt réside justement dans cette subtilité des sous-entendus, avec un exquis mélisme répété jusqu'au vertige. De même son dernier récitatif se garde-t-il de triompher, crédibilisant la fraîche sincérité du personnage. Monique Zanetti – dont nous évoquions les qualités dans le Roland de Lausanne [lire notre chronique du 2 janvier 2004] – est une Clori pleine d'esprit, minaudant à souhait dans Fuggir voglio quella face, avec un vrai sens de la scène et une intelligence tant musicale que poétique. Sans accuser de contrastes trop prononcés, elle mène une interprétation nuancée et une ornementation toujours délicatement légère. Dans Mi puoi ben dire, la soprano développe une certaine tendresse, convoquant plus de chaleur en son timbre. Et si l'on ne doute pas de la sincérité du berger, son art laisse entendre, dans Io son concinta, que la belle avait uniquement besoin qu'il lui fasse une cour acharnée jusqu'au désespoir pour céder à son sentiment.
Fort différente s'annonce Dipartita Amorosa, l'autre cantate. Sa Sinfonia pourrait bien ouvrir un opéra tragique. Suit un récitatif en duo, plein de soupir et de désespoir, assez précieux, pour tout dire. Si, dans Se teco del moi core, Monique Zanetti alourdit de H nombreux (Had-Hio, etc.) une diction suffisamment expressive qui n'en avait pas besoin, elle est tout simplement divine dans Crudo addio, offrant des aigus fulgurants, une vocalise évidente, et une ornementation brillante. La tendance aux soupirs contamine le récitatif de Tirsi, Se teco resta o cara, alors que dans Parto dissi e dirti moro, Pascal Bertin est directement émouvant sans ces effets, variant discrètement le da capo. Mais on se console bien vite, comme le démontre la soprano dans le caractère judicieusement capricieux qu'elle donne à l'air Vivro finch'amore ! Du reste, l'humour est particulièrement présent dans la fin de cette cantate, articulant un texte soi-disant mélancolique sur des traits primesautiers dans le duo final.
BB