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Antonio Sacchini
Renaud
« Nous sommes loin de blâmer les applaudissements que l’on donne aux compositeurs étrangers qui, depuis quelques années, ont orné notre scène lyrique de chefs-d’œuvre d’un genre qui a ses beautés ; mais nous croyons qu’il ne faut pas les applaudir exclusivement, au dépend de bons compositeurs nationaux, dont les preuves sont faites […] » (Essai sur la musique ancienne et moderne, 1780).
Par ces mots, l’historien et compositeur Jean-Benjamin de Laborde (ou de La Borde) – à qui l’on doit notamment, sur le même livret de Quinault, un Amadis de Gaulle (1771) quelques années avant celui du « Bach de Londres » [lire notre critique du CD] – rend compte de la situation de la France à la veille de la Révolution. Depuis que Gluck, protégé par Marie-Antoinette qui fut son élève à Vienne, a triomphé à Paris avec Iphigénie en Aulide (1774), les créateurs italiens et germaniques (pour la plupart) sont venus y tenter leur chance, par vagues successives. Ils ont pour nom Piccinni, Paisiello, Sacchini, Vogel, Cherubini, Starzer, Salieri, Mayer, Cambini, Mozart ou encore Anfossi [pour La finta giardiniera du second, lire notre critique du CD] ; leurs œuvres constituent plus d’un tiers du répertoire monté jusqu’à la fin de l’ancien Régime (1790). Cette réunion de talents engendra un renouveau de la vie artistique à laquelle les musiciens français durent s’adapter, en copiant ou en résistant – parmi ceux qui gardèrent leur personnalité, La Borde cite Gossec et Grétry, les futurs auteurs de Thésée et Guillaume Tell [lire notre chronique du 11 juin 2013].
Sollicité depuis quelques années pour ses succès londoniens, Antonio Sacchini (1730-1786) arrive à Paris en 1781 et fait représenter Renaud à l’Académie royale de musique, le 25 février 1783, pour lequel Framery et Le Bœuf s’inspirent de son propre Rinaldo (1780) et du livret de Pellegrin utilisé par Henry Desmarest (1722). Un climat de préjugés et de cabales particulièrement virulent entoure le projet puisque les Gluckistes, tout d’abord, proposent de l’argent au compositeur pour qu’il renonce à le mener à bien et, ensuite, parviennent à le brouiller avec son ami et soutien Piccinni.
Cette tragédie lyrique en trois actes, présentée plus de cent-cinquante fois dans les trente décennies qui suivirent sa création, fut enregistrée l’an passé à l’Arsenal de Metz, quelques jours après un concert versaillais [lire notre chronique du 19 octobre 2012]. Julien Dran (le rôle-titre) s’avère inégal, partagé entre qualités (lumière, vaillance) et défauts (tremblements, tension). Ample et incisif, le mezzo Marie Kalinine (Armide) offre malheureusement nombre d’attaques miaulées. Jean-Sébastien Bou (Hidraot) est excellent, comme souvent – rond, souple et stable –, et Pierrick Boiseau (Adraste) ne manque pas de nuances. Julie Fuchs (Mélisse), Katia Velletaz (Doris), Chantal Santon (Antiope), Jennifer Borghi (Iphise), Cyrille Dubois (Tisiphone) et Pascal Bourgeois (Alecton) complètent la distribution.
Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (préparés par Olivier Schneebeli) et Les Talens Lyriques sont placés sous la direction de l’infaillible Christophe Rousset, vif et presque électrique, qui donne tout son relief à une musique digne de redécouverte.
LB