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Chroniques
Antonio Salieri
Falstaff
On connaît surtout le Falstaff de Verdi et les lustigen Weiber von Windsor de Nicolaï, ces dernières pour leur truculence dramaturgique et le peu de profondeur de leur partition, voire leur brin de vulgarité, et le premier pour ses délices musicales et le rebondissement inattendu que constitua son écriture dans la carrière du vieux maître. À l'aube du XIXe siècle, cependant, Antonio Salieri, compositeur officiel de la cour de Léopold II à Vienne, et pédagogue reconnu, respecté et incontournable, créa un Falstaff d'une grande classe, sachant répondre à la mode récente du dramma giocoso dans les cours d'Europe, alliant la légèreté des farces lyriques napolitaines au classicisme d'alors, tout en ménageant dans la musique des moments de réelle émotion où le personnage principal pousse le grotesque jusqu'à devenir attachant et, ô surprise, un tantinet sentimental. En ce sens, c'est peut-être la version Salieri qui s'inscrit le plus fidèlement dans une filiation shakespearienne, bien qu'à y regarder trop vite on eût pu croire le contraire.
En 1996, l'Atelier Lyrique de Tourcoing faisait découvrir à son public ce bel ouvrage – on ne répètera jamais trop que cette musique souffre d'aucune faiblesse, et qu'elle sait s'inventer dans le respect des canons classiques avec grand goût –, et c'est grâce à la reprise de cette production au printemps dernier que le présent enregistrement peut paraître. Les prises de son furent effectuées directement pendant les représentations, à Tourcoing, ce qui constitue un témoignage très vivant de cette aventure réussie. Nous gardons en effet un excellent souvenir de la mise en scène qu'avait imaginée alors Alain Maratrat, et, à l'écoute, on en retrouve certains traits avec plaisir.
La distribution, qui nous avait alors paru tout à fait honorable, ne pâlit pas à l'écoute de cette trace. C'est surtout Salomé Haller qui frappe l'oreille, pourrait-on dire. Simon Edwards campe un Ford remarquable, dirigeant sa voix avec précision, et l'homogénéité de son timbre aux différents registres de son chant nous gratifie de possibilités expressives indéniables. John Falstaff est ici Pierre-Yves Pruvot qui se trouve flatté par la prise de son, comme cela arrive parfois. C'est inexplicable, mais certaines voix sont plus phonogéniques que d'autres. Du coup, il prend véritablement sa place de premier rôle sur ces disques, lui qu'on avait trouvé un peu faible sur scène. La Scène 10 du premier acte demeure absolument délicieuse, entre Falstaff et Mrs Ford déguisée en Allemande jargonnant un charabia vaguement teuton. Jean-Claude Malgoire dirige l'ouvrage avec beaucoup d'esprit, ménageant la nécessaire théâtralité, et soignant certains soli de son Écurie.
On a calomnié Salieri après la pièce de Pouchkine, et le grand public croit encore en un compositeur médiocre qui aurait perfidement favorisé la mort de Mozart qui lui aurait trop fait d'ombre, tel que veut bien le montrer le film de Milos Forman; non, décidément, à l'écoute de cette ouvrage, il est certain qu'un tel homme n'avait rien à craindre du galopin.
BB