Recherche
Chroniques
Antonio Salieri
La grotta di Trofonio | L’antre de Trophonius
Salieri aurait assassiné Mozart. Qui a dit cela ? Forman dans son film, bien sûr, mais longtemps avant lui Pouchkine dont la pièce sut inspirer à Rimski-Korsakov un acte d'opéra. On leur pardonne : le sujet ne manquait certes pas de soufre. Objectivement, c'est plutôt l'inverse qui s'est produit, pourrait-on dire, car si Salieri n'a pas tué Mozart, dans notre capricieuse mémoire Mozart a injustement éliminé Salieri ! De même qu'autrefois Jean-Claude Malgoire le fit avec Falstaff [lire notre critique du CD], Christophe Rousset a ressuscité La Grotta di Trofonio, il y a tout juste un an [lire notre chronique du 11 mars 2005].
Aussi sera-ce avec grand plaisir que les mélomanes qui n'allèrent pas à Lausanne l'an dernier découvriront ce fort bel enregistrement, agrémenté d'un DVD qui servira d'idéale introduction à l'écoute de l'opéra. Ce film d'une quarantaine de minutes fut avantageusement réalisé par Olivier Simonnet lors des répétitions valaisannes. Pour commencer, tandis que retentissent les accents inquiétants de la Sinfonia, on suit le chef français jusqu'à la porte d'une bibliothèque ; tout de suite, l'on passe à une répétition, dans la fosse, mais vue du dessus. Quelle bonne idée ! Le lever de rideau prend alors une dimension impressionnante et nouvelle, intégrant à lui seul le changement de perspective que le projet nous invite à opérer dans notre vision de l'histoire de la musique. En 1785, Antonio Salieri est une véritable star dans toute l'Europe qui se dispute ses opéras ; à l'automne, La Grotta di Trofonio est créé à Vienne avec grand succès, puisqu'il connaîtra trente ans de carrière, avec même une reprise parisienne (1792), comme nous l'explique Christophe Rousset, depuis le clavier d'un pianoforte ; le chef, qui a lu la partition sur le conseil d'un musicologue américain, trouve dans cet ouvrage un équilibre parfait entre la vocalité, l'orchestration, la forme et la dramaturgie. Il explique qu'il lui semble clair, après s'être plongé dans toute son œuvre, que Mozart s'est inspiré de procédés inventés par Salieri pour des ouvrages aujourd'hui oubliés : le prodige a récupéré des idées d'instrumentations, des thèmes, des façons de solutionner l'harmonie, etc. Et, justement, l'emploi d'un élément effrayant dans l'Ouverture qui sera repris dans les scènes du Mage vient avant Don Giovanni qui, sur ce point, procède de la même manière.
À l'écoute de ces deux disques, on sera vite charmé par la fraîcheur de l'œuvre de Salieri, pleine d'esprit, et particulièrement bien servie par les voix réunies pour ces représentations. À commencer par Trofonio lui-même, magnifiquement chanté par l'ample basse Carlo Lepore ! Notre préférence distinguera particulièrement les prestations de Mario Cassi (Plistene) et de Raffaella Milanesi (Ofelia), à la fois irréprochable musicalement et d'une efficace évidence. Il fallait s'en douter : l'élégance et la tonicité de l'interprétation de Christophe Rousset [lire notre entretien] et de ses Talens Lyriques sont pour beaucoup dans la réussite de cet enregistrement.
AB