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Chroniques
Antonio Vivaldi
Farnace | Pharnace
Depuis sa création en 1727 jusqu’aux derniers remaniements une décennie plus tard, Farnace apparaît comme l’opéra fétiche de Vivaldi [lire notre chronique bordelaise du 27 juin 2003]. La preuve en est que lorsqu’il s’éloigne de Venise à la fin des années 1730 – sa ville natale où triomphe à présent Johann Adolf Hasse, symbole et meneur de la mode napolitaine –, c’est avec cet opéra, associé à Siroè re di Persia écrit la même année, qu’il espère triompher à Ferrare. Mis en musique pour la première fois par Leonardo Vinci – un futur rival dans la Cité des Doges –, le livret du poète Antonio Maria Lucchini est sans doute découvert à Rome en 1724, au Teatro delle Dame, alors même que Vivaldi présente Tigrane au Teatro Capranica. Ce texte s’inspire de La pace generosa (1711), – conçu par Francesco Silvani pour Tomaso Albinoni – et féconderait d’ailleurs, parfois remanié voire retitré Berenice, bon nombre de compositeurs de l’époque baroque (Orlandini, Porta, Corselli) ou classique (Traetta, Mysliveček, Piccinni).
C’est durant la saison de carnaval, au Teatro Sant’Angelo, qu’est présentée la première version de Farnace. Une seconde voit le jour dès l’automne suivant, pour répondre au succès d’une musique « très variée soit dans le sublime, soit dans le tendre » – comme l’écrit l’abbé Conti. La reprise à Prague (1730), Pavie (1731), Mantoue (1732) et Trévise (1737) est prétexte à revoir et fignoler l’ouvrage. La septième et ultime révision est celle de Ferrare où, cependant, Farnace n’est jamais représenté, suite à des cabales d’artistes locaux et à l’engouement, là encore, pour Hasse. Datés de 1738, les deux premiers actes sont les dernières contributions connues à l’art lyrique de Vivaldi. Ils témoignent de profonds remaniements des récitatifs, des airs (huit sur seize des actes revus sont méconnaissables) et des tessitures – le rôle-titre n’est plus un ténor mais un mezzo-soprano.
« Trahirai-je mon époux ? Frapperai-je mon fils ? Ah, je ne sais qui remportera la palme de cette injustice ». Personnage qui se voit offrir avec régularité quelques-uns des plus longs, des plus poignants airs de l’ouvrage, Tamari annonce d’emblée son dilemme. Prise entre la promesse de ne pas livrer vivant leur enfant à l’ennemi et le fait que ce dernier prenne les traits de sa mère Berenice – reine de Cappadoce qui souhaite venger la mort de son époux Mitridate –, Tamari ne trouve la paix qu’après bien des menaces et des frayeurs. Quitte à rebaptiser Farnace, choisissons le nom de la reine du Pont… Avec une couleur aussi sombre que profonde, Ruxandra Donose l’incarne idéalement. Souvent caché, le roi Farnace intervient moins souvent, mais la vaillance, la souplesse et la fiabilité de Max Emanuel Cencic rendent enchanteurs ces rares moments.
D’une ampleur soyeuse, la Berenice magnifique de Mary Ellen Nesi confie avec volubilité ses douleurs intimes – Non trova mai riposo (III, 1) –, entourée du capitaine Gilade et du proconsul Pompeo. Si le second est défendu par un Daniel Behle efficace, le premier trouve en Karina Gauvin un chant clair, léger mais épicé, source de tendre virtuosité – Quell’usignolo che innamorato (II, 4) ; Scherza l’aura lusinghiera (III, 4). Selenda, sœur de Farnace, n’est pas en reste puisque confiée aux soins d’Ann Hallenberg dont la fermeté d’expression ne se départit jamais de nuances ciselées. Emilio Gonzalez Toro (Aquilio) complète cette distribution exemplaire avec son ténor d’une onctuosité un rien acide.
Conservée presque complète à Turin, la version de Pavie (Giordano 36) permet d’offrir un troisième acte à celle de Ferrare (G 27), au remaniement inachevé. Plutôt que d’emprunter au catalogue de Vivaldi comme lui-même l’a fait pour son début de révision (Atenaide, L’Olimpiade, Griselda et L’oracolo in Messenia), Frédéric Delaméa et Diego Fasolis ont trouvé plus rigoureux (excepté l’air de Berenice cité plus haut) de reconstruire à partir des nouvelles tessitures choisies. À la tête d’I Barocchisti et du Chœur de la Radiotélévision suisse Lugano, le chef se montre assez vif mais sans excès de contrastes. Deux airs chantés par Max Emanuel Cencic, non retenus par Vivaldi à Ferrare, servent de bonus à cet enregistrement fort recommandable.
LB