Recherche
Chroniques
Antonio Vivaldi
Motezuma | Moctezuma
D’un côté Motezuma, empereur du Mexique, sa femme Mitrena et sa fille Teutile ; de l’autre Fernando Cortès, le conquérant espagnol du XVIe siècle naissant, qu’accompagne son frère Ramiro. Comme le rappelle le metteur en scène Stefano Vizioli dans un reportage bonus d’une vingtaine de minutes, l’opéra de Vivaldi créé le 14 novembre 1733 – au Teatro Sant’Angelo (Venise), à l’occasion de la saison d’automne – est avant tout politique. Son intrigue amoureuse s’avère bien secondaire, prétexte à favoriser une réconciliation finale qui impose, dans la paix mais sans partage, la domination catholique.
Citant comme chroniqueur « le plus sincère » Antonio de Solis (1610–1686), Girolamo Alvise Giusti (vers 1705 – 1766) décrit librement « la catastrophe du dernier jour où ce grand prince fut soumis, et la monarchie vaincue », et son livret, jusqu’à une date récente, fut l’unique vestige d’un opéra perdu. Si, en 1992, Jean-Claude Malgoire en propose un pastiche (à base de cantates, sérénades et ouvrages lyriques du Vénitien), ce n’est que dix ans plus tard que le musicologue Steffen Voss fait une découverte décisive. En quête d’informations sur Händel, il parcourt les archives de la Sing-Akademie de Berlin, des documents que l’on croyait détruits durant la Seconde Guerre Mondiale mais qui avaient quittés la capitale en 1943. Retrouvés à Kiev en 1999, rendues à l’Allemagne trois ans plus tard, elles livrent une partition d’un copiste connu qui s’avère s’adapter au livret de Giusti. Motezuma est redécouvert et, malgré ses numéros manquants (onze sur les vingt-huit originaux), dès lors joué plus fidèlement – comme par Il Complesso Barocco, en 2006 [lire notre critique du CD] –, en s’appuyant sur une reconstitution d’Alessandro Ciccolini. Vivaldi s’y révèle un rival énergique du style napolitain qui séduit ses contemporains (Vinci, Hasse), comme en témoignent de nombreuses remises en question – auto-citations réduites, récitatifs plus variés (au moins quatre sont accompagnés), présence de deux castrats soprani, etc.
D’un ouvrage à la construction limpide, au suspense entretenu, Stefano Vizioli a servi l’exotisme moins par le décor que par le costume, le maquillage et la lumière. Cette dernière offre des « couleurs psychologiques » qui accompagnent les affrontements verbaux et autres combats chorégraphiés par Ran Arthur Braun. Symbole du colonialisme en jeu, un crucifix géant est couché sur scène (devient scène), que les protagonistes enjambent pour venir chanter sur le proscenium ou dans la salle même. Une direction d’acteurs précise fait le reste.
Comme souvent chez Dynamic, la prise de son est perfectible, et l’on entend craquement du bois et frottement du tissu. D’ordinaire agaçants, ces trous sonores gâchent à peine notre plaisir d’entendre la distribution solide réunie par le Teatro Comunale di Ferrara (Italie), en janvier 2008. Dans le rôle-titre, la basse Vito Priante allie ampleur, couleur et grand souffle, qu’entourent efficacement Mary-Ellen Nesi, Mitrena aux graves chaleureux, et Laura Cherici, Teutile offrant par contraste un aigu lumineux, expressif et cinglant. Agile, Franziska Gottwald (Fernando Cortés) propose des da capo vaillants qui prennent parfois des inflexions Renaissance, tandis que Theodora Baka (Ramiro) séduit par un chant plus tenu et conduit que ses partenaires, sans raideur cependant. Quant à elle, Gemma Bertagnolli (Asprano, commandant en chef de l’armée autochtone) se montre agile et souple, fulgurante au besoin, lorsque l’y invite le virtuose D’ira e furor armato avec trompette obligée – un air repris par Vivaldi dans Bajazet (1735). À la tête de la formation citée plus haut, Alan Curtis propose une lecture nuancée, pleine d’allant, qui achève de faire de cette première mondiale au DVD un bel événement.
LB