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Chroniques
Antonio Vivaldi
concerti pour basson – concerti pour hautbois
C'est inattendu : Vivaldi a confié certains de ses continuo au basson dont la couleur particulière, discrète, mystérieuse et reconnaissable entre toutes, semble l'avoir passionné, puisqu'il aurait composé rien moins que trente-sept concerti pour cet instrument ! Le plus directement séduisant hautbois bénéficiait alors d'un répertoire plus convenu, et le Prete rosso se lança dans un concerto pour ces deux bois d'une délicieuse théâtralité. Le mot est lancé, et les Sonatori de la Gioiosa Marca rendent gentiment à ces pages tout ce qu'elles pourraient avoir d'opératique. Ainsi, l'Allegro du Concerto RV481 en ré mineur, alerte et dramatique, ouvre-t-il ce disque assez brillamment, en posant les jalons d'une représentation imaginaire. Le basson fait son entrée comme le ferait une voix, vocalisant bientôt son aria. Fascinant baryton femelle ou contralto mâle, l'instrument reconstitué par Peter de Koningh pour Sergio Azzolini (basson à quatre clés accordé au diapason vénitien prenant pour modèle un ancêtre du début du XVIIIe siècle) charme peu à peu l'auditeur par une sonorité saisissante et complexe dont le soliste use avec maestria. Si l'on est parfois surpris par certains partis pris de mobilité de tempo, une sensibilité délicatement présente dans la moindre respiration, la tendresse des nuances et l'indéniable agilité servent une expressivité appréciable. Le caractère solennel du Larghetto est lui aussi théâtral, dans une articulation toujours souple, sans heurt ; il est une sorte de suspension méditative de l'action qui se poursuit de plus belle dans l'Allegro molto final, vocal et chorégraphique.
On connaît plusieurs versions de La Notte, célèbre concerto de Vivaldi qui fut transcrit par son auteur mais aussi par divers copistes, ce qui lui valut une diffusion assez exceptionnelle. Joué parfois par la flûte a traverso, d'autres par un bec, c'est une réécriture pour basson, cordes et basse continue, imprimant quelques précieuses variantes, de la main de Vivaldi elle-même, qu'on pourra découvrir ici. Dès l'abord, le Largo force l'écoute, puis le second mouvement développe une exubérante expressivité où le basson fait des rêves fulgurants et peut-être drôles… Il Sonno nous transporte par un grand pouvoir évocateur et une lecture étrangement recueillie, comme si le rêve était de l'ordre du sacré au point qu'on traduirait sans doute plus justement le titre par l'apparition, la vision ou mirage. C'est un pudique éblouissement intérieur marqué d'un caractère presque hébété, ahuri. Et sur sa dernière note surgit la danse du petit matin, enjouée et facétieuse, où Azzolini affirme une humeur tout à fait rafraîchissante.
C'est sans conteste l'interprétation du Concerto RV498 en la mineur qui emporte ma préférence. Le piano sempre de l'Allegro d'ouverture s'impose par une élégante gravité qui s'apparenterait plus à un mouvement central qu'à des premiers pas. Cette sorte de douche froide n'est pas exempte de théâtre, un trait qu'abandonne cependant le Larghetto suivant, d'une troublante sérénité en demi-teinte dans laquelle le basson déploie une énergie délicatement distribuée. Le dernier mouvement est d'une supériorité insoupçonnée, regardant la musique d'au-dessous, alliant paradoxalement souveraine indifférence et sensibilité aiguisée. Placé au centre de ce disque, ce concerto, clairement soucieux de dosage et d'équilibre et, de ce fait, nécessairement marqué d'une distanciation annonçant le classicisme à venir, en est l'évidente et superbe clé de voûte.
Deux concerti pour hautbois ponctuent ce programme. Hans Peter Westermann offre toujours un jeu satisfaisant et brillant, mais sans plus. Irréprochable son virevoltant Allegro molto du Concerto RV451 en ut majeur, précieux son solo du Largo suivant, mais rien ne vient habiter ces notes fort joliment réalisées. En revanche, son interprétation du célèbre Concerto RV461 en la mineur s'avère nettement mieux trempé, surtout dans le Largo central, d'une fausse simplicité. Le dernier mouvement, sorte d'aria, est vivement mené d'une virtuosité excitante, mais demeure monolithique.
Enfin, Vivaldi a réuni les deux instruments dans un Concerto RV545 en sol majeur (pour hautbois et basson, cordes et basse continue) d'une joviale et dynamique théâtralité. S'ouvrant par unAndante molto plein de fraîcheur et d'esprit où les interventions des deux solistes deviennent tendrement humoristiques, il poursuit par une mélodie à deux, plutôt gentille, occasionnant une passionnante salade de sonorités mêlées. Enfin, les artistes s'engagent dans une pétillant Allegro fabuleusement festif.
BB