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Chroniques
Antonio Vivaldi
Griselda
L'Édition Vivaldi de Naïve continue ses explorations avec ce huitième volume consacré à l'œuvre pour le théâtre, Griselda, opéra créé en mai 1735 au Teatro San Samuele de Venise et qui marque le début d'une exclusivité des grands rôles attribuée à la Girò, exclusivité qui durerait jusqu'à la disparition d'Antonio Vivaldi, en 1741. Cet ouvrage ouvre pour la première fois au compositeur les portes d'un très prestigieux théâtre vénitien, et ce pour de simples raisons économiques qui n'avaient guère valeur de reconnaissance, comme nous l'explique clairement l'intéressante notice que signe Frédéric Delaméa où l'on suivra, par ailleurs, l'évolution de l'argument, depuis le texte de Xénon lui-même inspiré d'une nouvelle du Décameron de Boccace, jusqu'à la version de Goldoni, commandé pour Vivaldi par Grimani, apprenant au passage qu'entre 1701 et 1735, on dénombre plus de trente mises en musique de cette Griselda, dont la première est celle d'Antonio Pollarolo (1676-1746) et les plus fameuses celles de Tommasso Albinoni (1671-1750) et d'Alessandro Scarlatti (1660-1725). On écoutera avec passion cette affreuse histoire d'un amour mis à l'épreuve du feu, pour ainsi dire, s'agissant pour le roi Gualtiero de prouver, en un jeu particulièrement cruel, la fidélité et la noblesse de cœur de son épouse Griselda dont le peuple, et principalement Ottone, ont moqué l'extraction roturière.
Des voix idéalement choisie veillent à la bonne résurrection de Griselda. On y apprécie l'égalité d'émission, le legato soigné et généreux du contre-ténor Iestyn Davies dans le rôle de Corrado, ainsi que le Roberto d'une grande agilité de Philippe Jaroussky dont on regrette toutefois qu'il ne s'accorde des ressorts expressifs qu'à partir du Da capo de son troisième air, à l'Acte II, livrant auparavant un chant assez indifférent, pour beau qu'il soit. Verónica Cangemi est une Costanza d'une tendre couleur de timbre, s'ingéniant à orner et à vocaliser dans la lumière avantageuse d'une ronde conduite de la voix. Le ténorStefano Ferrari offre un Gualtiero fort nuancé, doté d'un grave corsé et d'un aigu souple à peine nasalisé ; tout parait facile à ce chanteur qui montre un éventail expressif satisfaisant.
Le rôle-titre est confié à Marie-Nicole Lemieux qui parait de prime abord un rien maniérée dans ce rôle qui ne lui permet de n'affirmer la mesure du talent que l'on sait qu'à la seconde aria (Acte II) ; mais ce personnage qui pleurniche tout le temps n'est pas vraiment un cadeau, il faut bien l'avouer. En tout cas, l'interprétation du contralto reste gentillette, sans plus. Enfin, on retrouve l'excellente Simone Kermes en belliqueux Ottone auquel elle fait bénéficier, comme souvent, d'un engagement déroutant, et surtout d'une dynamique dont elle seule tient le secret, offrant des attaques aigues qui laisseront pantois, un travail musical d'une sensibilité rare, une évidente intelligence du texte, ces attributs de son art venant souligner d'autant les grandes qualités de la voix d'une artiste comptant plus d'une corde à son arc expressif.
Au pupitre, Jean-Christophe Spinosi conduit son Ensemble Matheus dans les effervescentes capricieuses de la partition de Vivaldi, sur un ton parfois étrangement bouffon, cela dit, mais dans un relief et une énergie plutôt stimulants en général.
AB