Chroniques

par bertrand bolognesi

Antonio Vivaldi
Motezuma | Moctezuma

1 coffret 3 CD Archiv Produktion / Deutsche Grammophon (2006)
477 5996
Antonio Vivaldi | Motezuma

On se souvient qu'en 1992, Jean-Claude Malgoire et La Grande Écurie & La Chambre du Roy publiaient chez Astrée l'enregistrement d'une reconstitution de Motezuma, opéra que Vivaldi fit représenter à Venise à l'automne 1733 et que l'on croyait alors perdu à jamais, seul le livret étant arrivé jusqu'à nos jours. À Berlin, le musicologue Steffen Voss, qui faisait des recherches aux archives de la Sing Akademie, y rencontre en 2002 un manuscrit au papier filigrané vénitien qui autorise de l'attribuer à la main du copiste d'une cantate du prete rosso. Il compare sa trouvaille au livret de Giusti et comprend qu'il vient de redécouvrir Motezuma, trésor inespéré qu’Il Complesso Barocco s'empresse de graver en Italie, un peu plus de deux ans plus tard. Aujourd'hui, le disque de Malgoire fait donc valeur de document pour quiconque s'intéresse à la carrière de ce chef, mais demeure obsolète pour le vivaldien convaincu.

De ce Motezuma ressuscité, l'on doit à Alan Curtis une lecture non seulement claire mais inspirée, dont la cohérence frappe dès la Sinfonia par la tonicité de son premier mouvement, l'élégance et l'équilibre de la partie centrale et l'évidence festive de la conclusion. La pâte des cordes se trouve particulièrement soignée, dans une interprétation qui se garde d'une tendance actuelle voyant plusieurs chefs baroques s'oublier en des contrastes trop chaotiques. La proposition de Curtis s'avère sensible d'un bout à l'autre, toujours attentive aux situations du drame, et volontiers au service des voix.

L'ouvrage surprendra par une relative inégalité, le premier acte faisant se succéder une kyrielle de récitatifs tous plus verbeux les uns que les autres, pour enfin donner libre cours à des airs plus conséquents dans les deux actes suivants. Grâce à une prestation vocale satisfaisante, l'on passera aisément sur la pauvreté de ce début, comme sur le peu d'intérêt d'un livret vanté en son temps, mais s'épuisant très vite, malgré d'incontestables qualités qui pourtant ne sauraient mener à elles seules une intrigue développée sur près de trois heures. On saluera donc l'Asprano du soprano letton Inga Kalna pour son agilité idéale dans les vocalises et ornements, agilité qui n'a d'égal que le bel entretien d'un legato séduisant, outre un brio qui sert à merveille l'écriture virtuose que Vivaldi a réservée au rôle. Le mezzo-soprano Romina Basso prête un timbre chaleureux et attachant à Ramiro à travers un chant toujours bien mené. Avantageusement vaillante se montreMaite Beaumont en Fernando, fiable d'un bout à l'autre, dans une couleur parfaitement maintenue qui sans doute aucun crédibilise le travestissement, et accentue l'autorité du personnage. On retrouve l'enthousiaste expressivité de Roberta Invernizzi en Teutile, ménageant des aigus d'une tendresse inattendue et parfois bouleversante, grâce à un art raffiné de la nuance. Enfin, Mitrena bénéficie des demi-teintes troublantes du contralto Marjana Mijanovic qui emporte les suffrages dans les arie, malgré des soucis de stabilité que les recitativi révèlent çà et là.

Avec un tel plateau vocal, notre frustration s'agrandit en mesurant les limites incontestables de Vito Priante, tant piètre artiste que sa basse à l'appréciable ampleur s'avère vaillante, qui n'offre au rôle-titre qu'une caricature d'interprétation. Si la voix compte d'indéniables possibilités, on remarquera un impact jamais également assuré et une justesse parfois mise en péril par une véhémence incontrôlée. Il sera d'ailleurs préférable pour lui que nous n'évoquions pas les questions de style… Mais cette ombre ne gâche certes pas le plaisir et l'intérêt d'une publication qui fera date.

BB