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Chroniques
Antonio Vivaldi
Dixit Dominus – Psaumes
Ce n'est qu'en 2005 – c'est-à-dire hier – que la musicologue australienne Janice B. Stockigt a identifié formellement, à Dresde, un fastueux Dixit Dominus, jusqu'ici attribué à Baldassare Galuppi, comme étant de la main d'Antonio Vivaldi (RV 807). C'est à partir de cette pièce que Leonardo Garcia Alarcón déclare avoir eu l’idée d'organiser un corpus hypothétique, sous forme de Vêpres, à partir de pièces religieuses isolées du Vénitien. Au cours de la même présentation, concise et passionnante, intégrée à la notice de ce nouvel opus des Éditions Ambronay, le chef argentin revient sur ses motivations, argumentant sur un parallèle fécond – puisqu'il s'agit bien de Vêpres – entre le Prêtre Roux et l'un de ses prédécesseurs les plus notoires à Venise, Claudio Monteverdi.
Il lui est très pertinent de retenir l'instrument exclusif des deux compositeurs (le violon) pour souligner à quel point leur non-pratique du clavier aura pu les desservir à la postérité, au regard de thuriféraires des pratiques « sérieuses », entendez largement claviéristes. Sensiblement dominé aujourd'hui par la production lyrique (après, avouons-le, tant de retard eu égard à Händel, entre autres), le flot de concert, de disques, de festivals même, atteste, souvent au prix d'un manque patent de rigueur ou de pédagogie, de la notoriété commerciale toujours florissante de Vivaldi. Mais que sait-on de la variété de son art, au delà du malentendu originel ?
Pour établir son virtuel office vespéral, Alarcón ajoute au Dixit précité six psaumes, dont le Beatus Vir RV 705, et l'extraordinaire Magnificat, dans sa version initiale RV 610, sans lequel il n'y a pas de Vêpres qui tiennent. De la même manière que dans une pratique « réelle », la charpente de l'ensemble est assurée par l'interpolation d'antiennes. La première qualité éminente qui saute aux oreilles est le naturel, la cohérence limpide d'une structure à la fois ample (deux CD) et concentrée sur des essentiels, parvenant à l'unité liturgique malgré (ou grâce à) la diversité captivante de l'inspiration musicale.
C'est peu de dire que le compositeur dispose de mille cordes à son arc, ses ressources mélodiques ou expressives semblant aussi inépuisables que son habileté extrême à faire interagir les dotations vocales, chorales et instrumentales mises à sa disposition. Le Dixit réattribué en est à lui seul une illustration magistrale : quatre grands chœurs à combinatoires multiples, solo d'alto et chœur, air de soprano, duo de ténors, trio soprano/basse/contre-ténor avec chœur, air de ténor, air d'alto, duo de sopranos !
L'enregistrement sur le vif, en l'Abbatiale d'Ambronay, constitue, en outre, un gage de vérité et d'harmonie supplémentaire... même si la prise de son artificielle (et c'est là le seul vrai regret) n'est pas toujours flatteuse, rendant par exemple les violons trop présents. Malgré cela, l'orchestre Les Agrémens, pour n'être pas la Cappella Mediterranea habituellement assortie à l'Argentin, délivre une prestation exemplaire de clarté et de vitalité. Et de souplesse : il en faut, pour ciseler avec autant de précision le kaléidoscope bouillonnant d'un tel Lauda Jerusalem, chef d'œuvre de jubilation – l'une des saillies les plus excitantes du recueil.
Ces mêmes atouts auréolent le Chœur de Chambre de Namur dont Leonardo Garcia Alarcón est le directeur artistique, et ce dès le Deus in adjutorium liminaire. Ses vingt artistes font preuve d'une adaptabilité extrême, raffinant les nombreux affects que Vivaldi a versés avec la prodigalité déjà évoquée ; mieux, d'une autorité théologale et d'une plasticité merveilleuses dans des séquences précipitées telles qu’Et in saecula saeculorum (Confitebor RV 596), ou menaçantes (Implebit ruinas, du Dixit). Si le pupitre des basses en est particulièrement spectaculaire, les femmes ne sont pas en reste, puisque deux d'entre elles (Joëlle Charlier et Caroline Weynants) vont jusqu'à briller aux rangs des solistes.
Ceux-ci, à leur tour, n'appellent que des éloges, même s'il put se lire ici ou là que seules les dames, fort sollicitées, seraient au niveau (superbes Maria Soledad de la Rosa, Evelyn Ramirez et Mariana Flores, cette dernière exquisément diaphane au fil de son Exortum est du Beatus Vir RV 795). Assurément moins exposés, le contre-ténor Fabián Schofrin et la basse Alejandro Meerapfel, s'ils ne disposent chacun que d'une intervention en solo, interpellent pourtant de leur belle musicalité, ainsi que les deux ténors (appariés dans un extrait du Dixit) Fernando Guimarães et Valerio Contaldo. Du premier, quel régal – éphémère mais si finement nuancé – que son Gloria avec hautbois du Confitebor !
L'abondante musique sacrée d'Antonio Vivaldi n'était certes pas en déshérence avant que ne soit tentée cette reconstitution. Le Magnificat (mouture RV 611), les deux Gloria, le Nisi Dominus, le Stabat Mater et, bien sûr, la Juditha Triumphans disposent depuis longtemps d'un statut intéressant auprès des interprètes et de certains mélomanes. Robert King a naguère enregistré une véritable somme en l'espèce (onze disques Hyperion). Plus proche, Rinaldo Alessandrini a signé, au sein de la fameuse intégrale Naïve, des Vespri per l'Assunzione di Maria Vergine comportant des psaumes partagés avec Alarcón.
Pour autant, la lecture de l'Italien n'est pas si étonnante, au sens littéral : on n'y trouve pas, avec une telle puissance radieuse, la conviction que de tels cycles, fussent-ils imaginaires, se situent au même niveau de splendeur chorale et de flux épique que les grands oratorios de Händel, par exemple. Ce n'est certes pas pour rien que l'Argentin a gravé, voici peu, un Judas Maccabaeus auprès du même label : les deux ont en commun un travail fort sur les dynamiques, un sens presque maniaque (mais non pas maniéré) du détail, et, surtout, une énergie intarissable. Jamais hystérique ou brouillonne d'ailleurs : toute tournée vers la Lumière. Une manière de paradoxe pour cet office du soir, qui marquera à n'en pas douter la discographie vivaldienne d'un jalon fulgurant, foisonnant – et fascinant.
JD