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Chroniques
Antonio Vivaldi
Tito Manlio
Le mélomane se gardera de chercher une vérité historique dans cet opéra deVivaldi. S'appuyant sur le Livre VIII de l'Histoire romaine de Tite-Live, le livret de Matteo Noris invente une fin heureuse à ce qui fut pourtant l'un des actes les plus emblématiques de la sévérité romaine. Au milieu du IVe siècle avant J.C., lors de la guerre contre les Latins, le fils du consul Titus Manlius Torquatus abattit un chef ennemi. Son père, qui avait strictement interdit tout combat singulier de ce genre, le décora pour cet acte victorieux et lui fit trancher la tête pour avoir désobéit à la loi et à l'État qui l'avait dictée. On verra ce sujet pédagogique illustré par les graveurs, les peintres, les poètes et jusqu'aux musiciens. Mais ici, la décollation du jeune Manlio, opérée à l'aide d'une hache ou de la machine imaginée par Dürer, n'aura pas lieu : les généraux se révoltent contre l'intransigeance du dictateur qui, soucieux de prévenir la révolte, renonce à l'exécution du verdict. Et parce qu'un fond d'histoire n'aurait suffit à émouvoir l'amateur d'opéra, Noris pimenta le drame d'une conséquente complication amoureuse : non seulement Titus aurait conçu une autre issue au conflit latin en donnant en noces sa fille Vitellia à Geminio, cet ennemi que Manlio tuerait, mais une idylle unirait le jeune Romain à une Latine, Servilia, qui n'est autre que la sœur de Geminio. Avec cela, Vivaldi a bien de quoi tisser des doubles vocaux à travers des duetti soulignés !
Sur cette création mantouane de 1719, on lira avantageusement le passionnant exposé que Frédéric Delaméa signe pour ce sixième volume des œuvres lyriques du Vénitien, dans la vaste intégrale publiée par Naïve, soit cette Édition Vivaldi qui lui tient à cœur. On attirera l'attention du lecteur sur la perfection de forme, de structure et de style de ce fort beau Tito Manlio, autant de qualités qui n'en masquent pas la notable inspiration. Dans cet ouvrage, les airs sont courts, les récitatifs relativement bavards au premier acte, parce qu'il y s'agit de camper l'argument, et, à partir de l'Acte II, l'émotion creuse son chemin.
Mark Milhofer possède le claironnant ténor propre à incarner l'arrogance provocatrice de Geminio. Le récitatif est efficace, mais l'air manque d'assise. Debora Beronesi donne un Lucio à l'expressivité délicatement nuancé, doté d'une diction ferme, d'une précision en général bien aiguisée. On ne regrettera qu'un grave assez pauvre et une caractérisation plutôt pâlotte qui, pour autant, ne ternissent ni le gracieux et tendre legato ni la sensualité du phrasé. Indispensable pointe de légèreté qui vient aérer la noirceur du drame, le rôle de Lindo est remarquablement servi par l'impact solide de la basse Christian Senn, incomparablement fiable dans les airs – dont le plaisant Rabbi ache accendesi (2ème acte) pourrait bien être l'ancêtre de célèbres pages mozartiennes. Si l'historique Decius, fidèle second du consul, ne s'attarda pas sur la sentence que l'on sait, trouvant plus tard dans la bataille moyen d'en finir une bonne fois pour toutes avec les Latins, Noris fait ici de Decio l'ami tout dévoué à Manlio. Barbara De Castri, par l'acidité du timbre, la fragilité des récitatifs et la platitude de l'émission, ne sert guère le rôle. Sombre velours parfois terrible, faisant frémir l'imagination, belle ligne de chant, riche couleur et pâte vocale souverainement égale, Marijana Mijanovic est une Vitellia idéale.
Idéale également la Servilia d'Ann Hallenberg : une couleur personnelle imprègne l'écoute, l'articulation s'avère toujours souple, l'abord est simple, franc, et l'exactitude vraiment redoutable. On signalera particulièrement l'étonnante instrumentalisation de la voix dans Deposta Amor la benda (début de l'Acte III), l'air le plus long de l'œuvre, conçu comme le mouvement lent d'une sonate. À l'inverse, elle affirme une agilité à toute épreuve dans l'air suivant, Parto contenta, à l'ornementation généreusement ouvragée. À Tito Nicola Ulivieri prête un grain présent, une directe intelligibilité du texte, un impact hyper défini, et juste ce qu'il faut d'autorité et d'agressivité dans la couleur. Si les finasseries un peu vides de Karina Gauvin restent frivoles pour commencer, la brillante réalisation des da capo finira par convaincre. Le timbre est clair, l'agilité s'impose, et probante la maîtrise de la dynamique.
Au pupitre de l'Academia Bizantina, Ottavio Dantone cisèle l'action par un somptueux travail de la couleur, de la dynamique, de l'accentuation (toujours discrète) des audaces harmoniques de la partition. La réalisation solistique s'inscrit naturellement dans l'expression.
BB