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Chroniques
Antonio Vivaldi
Orlando furioso | Roland furieux
Après s’être heurté aux milieux conservateurs et avoir subi un exil artistique de quatre années, cumulant les fonctions de compositeur, impresario et direttore delle opere in musica, Antonio Vivaldi (1678-1741) part à la reconquête des scènes vénitiennes au tournant de l’automne 1725. Quelques mois plus tard, alors que la concurrence s’amplifie avec la vogue napolitaine (incarnée par Vinci et Porpora, notamment), le Teatro Sant’Angelo voit la création d’Orlando furioso, le 9 novembre 1727. Malheureusement, le succès n’est pas au rendez-vous de ce dramma per musica en trois actes conçu d’après le livret de Grazio Braccioli – lequel avait déjà servi, quatorze ans plus tôt, au Bolonais Giovanni Alberto Ristori, un compositeur dans l’ombre duquel se tenait très certainement Il Prete Rosso. L’ouvrage boudé laisse donc place à Farnace [lire notre critique du CD], qui avait été un beau succès en février.
Comme l’écrit le dramaturge Willem Bruls dans le programme du Théâtre des Champs-Élysées en mars 2011, lors de cette captation : « Des centaines d’Orlando, d’Alcina, de Ginevra, d’Ariodanteet de Ruggieroont vu le jour entre 1600 et 1800, et même encore au XIXe siècle ». On trouvera donc ici des éléments bien connus tirés du poème épique de l’Arioste : l’île de la magicienne Alcina, la princesse Angelica éprise de Medoro mais courtisée par Orlando, ce dernier parti en quête des cendres de Merlin dérobées avec leur urne, son fidèle Astolfo ensorcelé, ainsi que Ruggiero (envoûté à son tour) et sa maîtresse Bradamante. La mise en scène de Pierre Audi peine à éclairer une intrigue déjà complexe, et il faut attendre l’acte ultime pour s’attacher à ces trois couples qui ont perdu confiance l’un en l’autre, dans une Venise devenue souterraine, toute imprégnée de folie händélienne.
Malheureusement pour le mélomane, le véritable écueil de cette production vient de la présence de Jean-Christophe Spinosi en fosse. Comme trop souvent, le fondateur de l’Ensemble Matheus privilégie la nervosité plutôt que l’énergie, l’aiguillon plutôt que la caresse. Non seulement la phrase musicale se perd d’être malmenée de la sorte, mais il faut souligner combien ce jeu détimbré est un péril pour le lyrisme et le legato des chanteurs, qui semblent dès lors s’autocensurer. Par charité, on n’évoquera qu’en passant certaines cordes qui savonnent...
En revanche, on retrouve avec plaisir la plupart des interprètes ayant gravé l’œuvre avec lui en 2004 [lire notre critique du CD], et en premier lieu Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre – que l’on ne finirait pas d’encenser. Le contralto se montre non seulement brillant, nuancé et vaillant, mais aussi remarquable théâtralement dans sa scène de folie et par les accents masculins que prend parfois sa voix.
À ses côtés, Jennifer Larmore (Alcina) gagne avec lenteur en éclat et livre des airs prenants, tel Cosi potessi anch’io. Verónica Cangemi (Angelica) s’avère un soprano terne, voire ingrat (Chiara al pari di lucida stella), mais aussi émouvant par son investissement scénique. Ruggiero habité, Philippe Jaroussky compense lui aussi les lacunes d’une mise en scène ennuyeuse par la grâce de sa conduite exemplaire. Christian Senn (Astolfo) est un baryton sonore qui complète la distribution avec deux mezzos irréprochables : la händélienne Kristina Hammarström (Bradamante) – Lotario, Alcina, Belshazzar, etc. [lire nos chroniques du 15 juin 2005, du 29 novembre 2010 et du 24 mai 2011] – offre des vocalises évidentes de toute beauté, ainsi que la vivaldienne Romina Basso (Medoro) [lire notre critique du CD Motezuma et du CD Atenaide], au chant ferme autant que souple, juvénile et mordant.
LB