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Chroniques
Antonio Vivaldi
L’incoronazione di Dario | Le couronnement de Darius
Au début de l’année 1717, la carrière d’Antonio Vivaldi (1678-1741), alors professeur à l’Ospedale della Pietà et impresario d’opéra, croise subitement celle de son confrère Fortunato Chelleri (1690-1757) qui travaille à l’époque sur Florence. En effet, pour ouvrir la saison de carnaval en décembre 1716, le Teatro Sant’ Angelo (Venise) programme Penelope la casta du cadet, juste après le triomphe automnal d’Arsilda regina di Ponto, signée par l’aîné [lire notre critique du CD]. Cette Penelope s’accompagne de scandales variés qui en abrègent la représentation (chanteurs en grève, etc.), et Arsilda, révisée par son auteur, est appelée à la rescousse, en attendant l’achèvement et la création de L’incoronazione di Dario, le 23 janvier 1717.
Conçu d’après un livret d’Adriano Morselli écrit trois décennies plus tôt, ce nouveau dramma per musica transporte l’auditeur à la cour d’une Perse pseudo-historique, après le décès du roi Cyrus (Ciro). Une nuit, son ombre apparaît à ses filles, Statira et Argene, pour mettre fin à leur deuil (« Un gémissement, un sanglot / dans les drames, c’est humain / mais l’excès de douleur est insensé »). Plusieurs prétendants au trône vont alors se succéder, avec pour consigne d’épouser la fille aînée de Ciro et éviter ainsi tout bain de sang inutile : Dario, un noble cautionné par les Satrapes (gouverneurs des différents territoires de l’Empire), Oronte, un jeune homme aimé du peuple, et le capitaine Arpago, soutenu par l’armée. Amoureuse de Dario qui s’impose comme le favori, Argene se décide à la trahison d’une sœur présentée comme naïve et simplette (« Et moi, délaissée / je serais soumise à l’empire / d’une reine imbécile ? Ah, non jamais ! »). Elle multiple les intrigues dont cherche à tirer partie Niceno, vieillard amoureux de Statira qui dit son tourment secret par une cantate avec violoncelle – un instrument qu’affectionnait Vivaldi, comme sut le rappeler la Collection Vivaldi soutenue par Naïve [lire notre critique du CD]. Argene s’endurcit encore, jusqu’à l’envie de meurtre (« J’ai déjà donné l’ordre / qu’ils se perdent en chemin et qu’au bord du Tibre / ils la livrent au milieu des bois / aux fauves affamés […] Je tuerai Arpago, et toi aussi Alinda »), mais perd finalement la partie, regrettant moins un avenir dans les fers que « d’avoir été si peu cruelle ».
Durant l’année 2013, cette rareté fut présentée en version de concert au Festival international d’opéra baroque de Beaune (le 5 juillet, dans une distribution qui respecte le sexe des personnages), puis aux Musikfest Bremen (14 septembre). Pour être enregistrée en public dans la cité allemande (Die Glocke), elle est une réussite technique et musicale, en premier lieu grâce à la direction souple et expressive d’Ottavio Dantone à la tête d’Accademia Bizantina, fondé voilà trente ans. Cet orchestre fait entendre des cordes datant principalement des XVIe et XVIIe siècles – dont un violon du luthier autrichien David Tecchler, conçu à Rome en 1701, pour le plus ancien.
L’équipe vocale surprend par son homogénéité et sa fiabilité.
Si Cavalli a mis en vedette la princesse de Perse [lire notre critique du CD], Sara Mingardo (Statira), avec sa pâte généreuse bien connue, cède le rôle-titre à Anders Dahlin (Dario), ténor calme, tendre et tranquille, souvent entendu dans Charpentier (Médée) et Rameau [lire notre chronique du 8 août 2005]. Alti elles aussi, Delphine Galou (Argene) et Giuseppina Bridelli (Flora) brillent par leur agilité. Les soprani Roberta Mameli (Alinda), au chant bien mené, et Sofia Soloviy (Arpago), au timbre lumineux, séduisent tout comme l’ampleur du mezzo Lucia Cirillo (Oronte), très nuancé, et celle du baryton Riccardo Novaro (Niceno), rond et stable.
LB