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Chroniques
Antonio Vivaldi
La Stravaganza
Après avoir dédié au Prince Ferdinand de Toscane son magnifique Estro Armonico, cycle de concerti Opus 3, Antonio Vivaldi dédiait son Opus 4, La Stravaganza, à un certain Signor Vettor Delfino de Venise, avec beaucoup moins de panache. Si le prestige de l'adresse n'est plus au rendez-vous, le style du compositeur s'affirme plus nettement, montrant une certaine tiédeur vis-à-vis des procédés de l'ancienne école romaine. La personnalité qui devait s'imposer magnifiquement dans les cycles La Cetra Op.8 commence à poindre ici ; il est, du reste, assez évident que le musicien ne conçut pas ses recueils chronologiquement : il est à supposer qu'en concevant ses concerti, il songea par la suite à les réunir selon tel critère de logique et de pensée musicales, les développant au besoin par de nouvelles compositions. Du coup, bien malin qui saurait dire à quel moment précisément le Prêtre Roux favorisa telle esthétique plutôt que telle autre...
À l'écoute de cette extravagance, on demeure saisi par la grande inventivité de Vivaldi, le peu de convention dont il fait cas ici, par rapport à d'autres recueils concertant. À l'occasion de la sortie de ce disque réalisé par l'ensemble polonais Arte dei Suonatori chez Channel Classics, l'on s'est évertué à réécouter attentivement les versions de 2000. Force est de constater que celle de Nicholas Kraemer à la tête du London Symphony Orchestra manque terriblement de relief, et laisse plutôt indifférent. En revanche, la vivacité – et même la vitalité – de la lecture brillante de Gilbert Bezzina et de son Ensemble Baroque de Nice est beaucoup plus excitante, malgré certaines maladresses dans les attaques, une sorte de dureté intéressante mais parfois disgracieuse.
Ce nouvel enregistrement de la violoniste Rachel Podger, effectué en septembre 2002 en Pologne, et publié il y a quelques mois, apporte un plaisir encore différent : l'inventivité y est particulièrement soulignée par un jeu bénéficiant d'autant de subtilité que de franchise. On pourra parler d'un équilibre satisfaisant, rendant parfaitement compte du caractère novateur de la musique de Vivaldi, annonçant déjà l'ère classique, d'une certaine manière, tout en respectant l'inscription de son œuvre dans son époque véritable.
Il n'est qu'à écouter, par exemple, le Largo du Concerto n°3 en sol majeur pour appuyer cette affirmation : le dosage des échanges entre une ligne mélodique des cordes, dont on ne parvient pas à dire si elle est ornée ou si c'est tout simplement son ornement qui la génère, et la basse d'une tendresse déroutante du théorbe et de l'orgue illustrera exactement ce rapport que nous faisons, de même que la discrète réalisation du premier mouvement du Concerto n°11 en ut mineur, digne d'un lamento d'opéra.
AB