Chroniques

par laurent bergnach

archives Accroche Note
neuf créations au festival Musica

2 CD L’empreinte digitale (2013)
ED 13236
archives Accroche Note | neuf créations au festival Musica

Fondé voilà plus de trente ans autour du soprano Françoise Kubler et du clarinettiste Armand Angster (souvent dédicataires), l’ensemble Accroche Note peut s’honorer de quelque deux cent vingt créations, dont plus de quatre-vingt dans son fief strasbourgeois, à l’occasion du festival Musica. En parcourant la liste de ces dernières, on pense pouvoir déduire des affinités particulières avec des compositeurs joués au moins deux fois (Aperghis, Béranger, Cohen, Donatoni, Gedizlioglu, Mâche, Manoury, Nemtsov, Rihm, Stäbler), trois (Bertrand, Dillon, Mantovani, Monnet), quatre (Pauset) et même cinq fois (Dusapin – dont Le Monde rapporte cet aveu, tout dernièrement : « ils m'ont appris une très grande partie de mon métier »)… et l’on n’aurait pas tort puisque sont de cette liste quatre des huit compositeurs présents sur ce disque tout juste édité. Ils sont les héritiers plus ou moins rebelles des avant-gardes des années cinquante, concepteurs de pièces largement franco-italiennes, enregistrées en concert entre 1996 et 2011.

Si nous abordons ces compositeurs par ordre chronologique de naissance, nous trouvons tout d’abord James Dillon (né en 1950), ancien rocker de Glasgow dont on connait le goût pour « les aberrations et cahots, les impuretés et salissures » [lire notre critique du CD]. Premier des trois trios au programme, Redemption (1996) révèle paradoxalement une grande clarté sous les doigts des musiciennes qui accompagnent Angster : les violoniste Mieko Kanno et pianiste Yukiko Sugawara – laquelle jouait récemment Mark Andre en solo [lire notre chronique du 9 novembre 2011].

On ne présente plus les Français Philippe Manoury (né en 1952), Pascal Dusapin et Philippe Hurel (tous deux de 1955). Du premier, Hypothèses du sextuor (2011) imagine une cohabitation foisonnante et contrariée qui emprunte un motif à Des pas dans la neige (Debussy), « non pas comme une citation, mais comme possibilité d’une convergence entre les caractères de ces six musiciens ». Après Watt (1994) et Quad (1996), Dusapin revient à Beckett, sans trombone ni violon cette fois, mais avec un trio pour soprano, clarinette et piano : Echo’s Bones (2008). Les poèmes de jeunesse de l’Irlandais sont rendus avec tendresse, dans une économie de matériau avouée. Hommage vocal (à Pérec) en quatre parties contrastées, Cantus (2007) souhaite une chanteuse-observatrice qui « décrit de manière topologique les transformations, les dérives de la musique qui est en train de se dérouler » – impliquant un texte pour quatre parties fébriles d’Hurel écrit a posteriori, régulièrement porté par Kubler [lire notre chronique du 29 mars 2013].

Place ensuite aux Italiens Luca Francesconi, Alessandro Solbiati (tous deux de 1956) et Stefano Gervasoni (né en 1962). Revenant à Coleridge après son opéra Ballata (2002), le premier livre Time, Real and Imaginary (2009), âpre et lumineux, d’après une allégorie qui évoque deux enfants courant sans fin dans la montagne, et un temps circulaire « tout à la fois immobile et rapide, mental et physique ». Nora (2009) est la version pour quatuor (avec cymbalum obligé) de celle pour huit instruments créée à Rome (2003), reflet des adaptations habituelles d’un Solbiati également soucieux de chant et de piano [lire notre critique du CD]. Avec le cycle Poesie francesi, Gervasoni s’empare de quatre poètes dont le français n’est pas la langue maternelle : Ungaretti, Rilke et le Roumain Ghérasim Luca (1913-1994) qui, en 2011, vient faire écho au ton sec, absurde et sarcastique de Beckett. Sept musiciens entourent un soprano agile et expressif, amenés à « revêtir ces textes du moindre habillage sonore, le plus pertinent possible ».

Depuis sa tragique disparition, nous croisons régulièrement les pièces de Christophe Bertrand (1981-2010) en concert. Il est plus rare de retrouver au disque celui qui fut joué si jeune par Boulez [lire notre chronique du 8 juillet 2006]. C’est donc un double cadeau que nous fait Accroche Note avec ces deux partitions qui encadrent les sept autres. Pouvait-il en être autrement, sachant qu’il fut un temps pianiste au sein de la formation ? Avant la création posthume de Diadème – trio du même effectif qu’Echo’s Bones – furent donnés Madrigal (2005) puis Sanh (2007). Les mots de Calvino, Barthes et Rabelais étayent la pièce la plus ancienne, dans un burlesque que met en relief une virtuosité vocale quasi instrumentale, dans un grand ambitus, exempte de vibrato, d’emphase et de lyrisme. Celle au titre chinois comporte cinq sections contrastées où une clarinette basse, un violoncelle et un piano explorent avec subtilité « différents moyens pour créer un effet d’asynchronie permanente » – Armand Angster, Christophe Beau et Michèle Renoul.

Enfin, signalons que la notice du CD comporte un code qui permet de télécharger trois autres raretés de plus de vingt minutes chacune, au format audio de son choix : Gone (2010) de Jérôme Combier, Eine Stimme (2005) de Wolfgang Rihm et Il Giardino de Sara (2009) Salvatore Sciarrino.

LB