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Chroniques
archives Elisabeth Grümmer
œuvres variées
The intense media publie une indispensable compilation en 10 CD consacrée à Elisabeth Grümmer, l’un des sopranos chéris des amateurs d’art lyrique de l’immédiat après-guerre. Née en 1911 à Thionville, en Moselle alors sous domination prussienne, Elisabeth Schilz épousa Detlev Grümmer, violoniste et maître de concert qui devait périr sous un bombardement allié en 1945. Elle s’est éteinte en 1986, au terme d’une belle carrière couronnée par des succès internationaux où elle incarnait ce qu’on appelait le bel canto allemand. Elle fit ses adieux en Feldmarschallin, en 1972 à Berlin.
À la fois soprano et mezzo, sa voix très particulière, l’une des plus nobles et des plus émouvantes de l’école de chant allemande, avait aussi une projection incomparable qui la rendait irremplaçable dans le chant wagnérien. Les trois fameuses héroïnes en E – Elisabeth de Tannhäuser, Elsa de Lohengrin, Eva des Meistersinger von Nürnberg – furent ses lettres de noblesse. Les plus grands chefs légendaires se disputaient sa voix puissante et expressive et ses talents d’actrice. Son incarnation d’Agathe du Freischütz lui apportera une gloire définitive. Elle n’a jamais été égalée dans cette tessiture meurtrière, exigeant puissance et virtuosité, qui ne lui posait aucun problème, comme tous les rôles qu’elle avait élus. Il faut rappeler que, contrairement à ses collègues, elle ne caractérisait jamais un personnage sans être sûre de le maîtriser complètement : Pamina, Donna Anna, Ilia, Elettra, la Contessa Almaviva, Agathe, Hänsel, Oktavian, Die Feldmarschallin, Die Gräfin Madeleine, Eva, Elsa, Elisabeth, Gutrune, Freia et Desdemona furent ses plus grandes héroïnes. Elle ne négligea pas pour autant la musique religieuse et la mélodie, idéales à ses moyens, leur consacrant un large part de sa carrière.
Sa rencontre avec Herbert von Karajan en 1940 fut déterminante.
Il lui offrit son premier Oktavian en 1941. Mais, ce n’est qu’en 1946 qu’elle obtint un premier engagement à la Städtische Oper Berlin, la future Deutsche Oper. Ce fut le début d’une collaboration qui dura vingt-six ans. Elle incarna superlativement les prime donne du répertoire, dans un Berlin Ouest où renaissait une brillante vie culturelle. Elle se produira aussi avec un immense succès dans de nombreuses villes dont Londres, Bruxelles, Paris, Milan, Vienne, Munich, Hambourg, Salzbourg, Glyndebourne, Buenos Aires et New York. Son legs discographique officiel apparaît cependant mince pour une diva autant fêtée. Moins d’une demi-douzaine d’intégrales de référence en studio, dont le Lohengrin de Kempe, le Tannhäuser de Konwitschny et, surtout, le Freischütz de Keilberth – c’est peu ! Nous ne disposons d’aucun enregistrement officiel de sa Feldmarschallin, des héroïnes mozartiennes, du domaine sacré ou de Lieder.
On sait qu’Elisabeth Schwarzkopf, sa rivale, ne fut pas étrangère à son absence des studios d’enregistrement et que son contrat avec EMI la tenait prisonnière. À la fin de la guerre, Schwarzkopf avait épousé Walter Legge, son agent, mais encore le génial producteur musical britannique en charge de la politique musicale de la firme. On lui doit les contrats de Karajan, Klemperer, Fischer-Dieskau, Ludwig, de los Ángeles et Callas, pour ne citer qu’eux. Ce n’est donc pas un hasard si Wagner et Weber, qui ne convenaient pas à la voix de Schwarzkopf, ont été les seules incarnations de Grümmer au disque. Heureusement, le live offre aujourd’hui une foison de captations radio qui permettent de la retrouver avec bonheur dans ses plus grands rôles. Hélas, quelle tristesse de l’entendre (et de la découvrir, pour bon nombre d’entre nous) dans un son précaire dû à la mauvaise qualité des témoignages de l’époque ! À ce titre, la Matthäus-Passion de rêve, avec Dermota, Edelmann, Höffgen et les Wiener Philharmoniker dirigés par Furtwängler en 1954 est difficilement écoutable aujourd’hui, tant la prise est défaillante.
Tout le mérite de cette nouvelle parution est malgré tout de livrer un panorama presque complet du divin soprano. Part belle est faite à l’opéra, spécialement Wagner, avec un CD consacré à Lohengrin, un à Tannhäuser et un pour les Meistersinger. Aux côtés des versions officielles, on a le plaisir de découvrir des live dirigés entre 1959 et 1960 par Knappertsbusch, Kempe ou Matačić. Suit un CD présentant des extraits des intégrales EMI du Freischütz et de Hansel und Gretel, complétés par deux airs du premier, dirigés par Furtwängler. La trilogie Da Ponte, Idomeneo et deux airs de concert, constituent un témoignage indispensable pour découvrir son art dans Mozart, chanté en italien : Come scoglio absolu, comme on en entendit peu, et D’Oreste, d’Aiace révélant à la scène une diabolique Elettra où l’on n’attendait guère la très suave cantatrice. Un florilège d’extraits connus de deux Don Giovanni reste l’un des must de cette compilation : Siepi, Simoneau, Schwarzkopf, Dermota et Edelmann l’entourent, accompagnés rien moins que par Furtwängler (pour une captation immortalisée en DVD) et Mitropoulos à Salzbourg !
Un autre disque dévolu à Mozart, chanté en allemand cette fois, permet de découvrir sa Pamina et de confronter Le nozze di Figaro et Don Giovanni avec ses interprétations italiennes. Il est complété par des extraits du Rosenkavalier où elle est successivement un Oktavian fort crédible, aux côtés de Leonie Rysanek, et la princesse Werdenberg, l’une de ses plus grandes hétroïnes, dirigée à Berlin en 1959 par Varviso. En bonus, un inédit Ach, ich fühl's de référence, dirigé par Solti à Salzbourg en 1956.
Un CD d’airs d’opéra présente Mignon, Antonia des Contes d’Hofmann, Marguerite du Faust, Micaëla de Carmen, Lisa de La dame de pique et Desdemona d’Otello (Verdi). Bien que tous chantés en allemand et dans un son vieilli, ses portraits toujours caractérisés avec émotion et tendresse restent attachants et d’une ineffable perfection. Micaëla bouleversante (aux côtés du Don José de Schock, en 1954, sous la baguette de Jochum), incandescente Desdemona et surtout les deux airs poignants de Tchaïkovski, son premier enregistrement de 1946. Le Lied est présent à travers deux CD exceptionnels consacrés à Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms, Wolf, Grieg et Reger, entre autres.
Enfin, un sublime disque Haydn, Brahms, Bach et Verdi est réservéà l’oratorio où sa voix agile et chaleureuse excellait. Il contient des pépites incontournables, comme l’incroyable Ihr habt nun Traurigkeit dirigé en concert avec Klemperer (1956), un bouleversant Blute nur, du liebes Herz de la Matthäus-Passion (Furtwängler) et un poignant Libera me du Requiem de Verdi avec Fricsay, pas très italien mais passionnant. Merci à The intense media de faire aujourd’hui revivre Elisabeth Grümmer à travers cette anthologie de trésors oubliés !
MS