Chroniques

par michel slama

archives Jussi Björling
I pagliacci – airs variés

2 CD The intense media (2014)
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(Re)découvrons Jussi Björling à travers I pagliacci et quelques airs variés

En 1953, la firme RCA enregistrait le couple d’opéras véristes le plus célèbre et fort en vogue à cette époque, Cavalleria Rusticana et I pagliacci. Autour de l’orchestre créé pour ses enregistrements, le RCA Victor Orchestra qui fut dirigé par Stokowski et Bernstein, le label étasunien réunissait les stars de son écurie, Leonard Warren, Robert Merrill, Victoria de los Ángeles, Zinka Milanov et Jussi Björling. Pour son hommage rendu à ce dernier, l’éditeur The Intense Media n’a retenu qu’I pagliacci auquel il adjoignit une intéressante compilation d’origines diverses, captations effectuées entre 1937 et 1941.

Le chanteur suédois Jussi Björling (1911-1960), disparu prématurément, y apparaît à son zénith. C’était l’une des plus belles voix de ténor di grazia du XXe siècle, à la fois élégante, virtuose, techniquement parfaite et à l’émotion superlative. Björling, qui débuta dans Mozart, excellait tant dans la musique allemande que dans le répertoire italien. Son français impeccable lui permit de chanter Don José (Carmen) comme Faust, avec une facilité déconcertante et un style digne d’un Georges Thill.

Seul écueil à sa perfection, sa placidité légendaire ne transparait heureusement pas dans ses enregistrements. En témoigne le Canio écorché vif de l’opéra de Leoncavallo, qui ne sombre pas dans le vérisme hyperréaliste, façon Grand-Guignol, de ses collègues d’alors. Écoutez ce Vesti la giubba anthologique qui émouvrait des pierres et vous comprendrez l’engouement qu’il put susciter. La direction de Renato Cellini est un écrin pour cette musique dite facile et qu’il est encore de bon ton de mépriser. Leoncavallo reste pourtant à redécouvrir, en particulier pour son autre Bohème, complètement oubliée. Notre Suédois brille, tout comme son entourage, bien digne de lui. Leonard Warren (Tonio) comme Robert Merrill (Silvio) étaient des barytons verdiens nord-américains de grande classe, stars absolus du Met’. Warren, le plus grand Macbeth des années cinquante, eut une carrière fulgurante – il mourut en scène à l’âge de quarante-huit ans. À l’inverse, Merill eut une très longue carrière et s’illustra dans Germont (Traviata) et Amonasro (Aida), mais aussi dans les deux Figaro de Mozart et Rossini, sans oublier Escamillo (Carmen). Seule ombre au tableau, le soprano espagnol Victoria de los Ángeles, alors trentenaire, semble moins à son aise dans le vérisme que dans l’opéra français où ses Marguerite, Charlotte et Carmen restent des références.

Le second CD est consacré à l’art de Jussi Björling, à travers des archives sonores des premières années de sa courte carrière. Une fois accoutumé aux prises de son précaires de la fin des années trente, l’auditeur découvre la voix d’or de ce ténor exceptionnel à travers de précieux témoignages historiques. La première moitié est consacrée à une sélection d’airs d’opéra et d’opérettes. Pour Puccini, c’est Tosca, La bohème et La fanciulla del West qu’il fréquentait régulièrement. De Verdi l’on entend les deux airs du Mantova de Rigoletto. On goûte encore Martha de Friedrich von Flotow, La belle Hélène d’Offenbach chanté en suédois, enfin Faust et Carmen pour l’opéra français. La deuxième partie propose un récital de Lieder autour de Beethoven, Schubert, Strauss et, plus rare, Sibelius et Hugo Alfvén (1903-1960). Au fil de ce bel album d’hommage, chaque plage révèle les qualités de ce chanteur d’exception, aujourd’hui méconnu, oublié.

MS