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Chroniques
archives Mischa Levitzki
enregistrements 1927-1933 (vol.2)
Mischa Levitzki fit ses débuts à Londres en 1927. Il y donnera régulièrement la rare Sonate en sol mineur Op.22 n°2 de Schumann – début du second disque dans une prise de 1933, peu après l'avoir donnée au Wigmore Hall. Son sens du rythme y est évident – ce que ses détracteurs ont voulu faire passer pour du détachement émotionnel –, alors qu'il n'exclut ni la subtilité ni la nuance. À trente-trois ans, le jeu paraît plus mûr. Dès le premier mouvement de cette sonate difficile, Levitzki rend compte de l'admiration de Schumann pour Bach, tout en inscrivant l'œuvre dans le romantisme. C'est magnifiquement nuancé, habité avec passion et engagement, et se colore de sonorités nettement orchestrales. L'Andantino fait figure de délicate contemplation où peu à peu apparaît quelque chose d'exquisément élégiaque, avant de mourir dans une douceur indescriptible. Après un Scherzo fulgurant qui laisse pantois, le Rondo bénéficie de phrasés somptueux qui pourraient bien servir de leçon à un jeune pianiste. La personnalité de Levitzki s'affirme pleinement dans le presto échevelé.
Quatre ans plus tôt, il enregistrait le Concerto en mi bémol majeur n°1 (S.124) de Ferenc Liszt avec le London Symphonie Orchestra placé sous la direction de Landon Ronald. La Seconde Guerre mondiale n’a pas encore décimé les rangs de la formation anglaise dont on admire la qualité des cordes. La lecture est contrastée sans le moindre heurt, et jouit d'un superbe équilibre. Le piano de Mischa Levitzki fait une entrée soignée comme une dentelle : on reconnaît la sècheresse pudique des années précédentes et la couleur de celles qui viendront. Toutes les interventions solistiques de l'orchestre contribuent à faire de ce mouvement une sorte de partition de chambre à peine grossie en proportion, sous une conduite tendue et dramatique. Le Quasi adagio central vient de loin, dans une teinte profonde très travaillée à l'orchestre, tandis que la mélodie du piano se dessine comme un doux paysage triste, dans une enthousiaste mobilité de tempo. La précision du LSO est stupéfiante dans le mouvement suivant, et les sarcasmes d'un Levitzki quasi satanique arborent une articulation ciselée. Toutefois, l'Allegro final est un peu lent et les unissons ne sont pas toujours satisfaisants. On le comprend : le pianiste est alors moins sûr techniquement, aussi étrange que cela puisse paraître, glisse plus d'une fois, savonne les chromatismes, etc. ; il a bien fallu prendre cette partie avec des pincettes, car c’eût pu être pire.
On ne quitte pas le compositeur austro-hongrois, puisque six pièces pour piano poursuivent ce programme. Passons vite la Rhapsodie hongroise n°6 jouée sur un instrument monstrueusement déglingué. La Rhapsodie n°12 est enregistrée en mars 1933 sur un piano possédant des graves formidablement profonds. L'interprétation de Levitzki est tout simplement magnifique. Il utilise le caractère particulier de l'instrument pour mieux imiter le cymbalum. L'étude Un sospiro est donnée avec une grande élégance. On ne peut s'empêcher de penser à la phrase assassine de Horowitz : c'est presque ainsi qu'il jouerait lui-même cette pièce, quelques années plus tard, mais en beaucoup plus maniéré !
On retrouve La Campanella dans une sonorité nettement plus travaillée et une véritable souplesse, insufflant un curieux mystère aux trilles de la fin. Un an après (plage 14), il la réenregistrait en adoucissant encore les aigus, obtenant un suspens inégalé. On continue la comparaison très instructive avec La jongleuse de Moszkowski, gravée quatre années après la mouture du premier volume [lire notre critique du CD] : c'est plus contrasté, les graves sont moins appuyés. Enfin, la Valse Op.2 de Mischa Levitzki himself paraît plus brève, moins salonarde, à peine plus étirée.
Cette réédition d’enregistrements Gramophone 1927-1933 est indéniablement une initiative heureuse, offrant quelques perles extraites de la cinquantaine de galettes 78 tours que Levitzki gravait avant-guerre.
BB