Chroniques

par laurent bergnach

archives Olivier Greif
concerts et entretiens

2 coffrets 12 DVD ABB Reportages (2013)
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deux coffrets de douze DVD rendent hommage à Olivier Greif (1950-2000)

Anthologie exceptionnelle, ces deux coffrets (soit douze DVD) dédiés à la vie et à l’œuvre d’Olivier Greif (1950-2000) donnent du temps aux mots et aux notes, pour mieux cerner celui que d’aucuns considèrent comme un génie qui n’est pas assez joué dans son pays. En effet, sans même compter le dernier volume entièrement consacré à des entretiens, nombreux sont ceux à y témoigner de l’importance du musicien disparu brutalement, qu’ils soient compositeur comme lui (Dutilleux, Hersant, Menut), interprète (Adler, Amoyel, Barda, Bertrand, Brunner, Demarquette, Galpérine, Prouvost, etc.), chef (Casadesus, Minkowski) ou musicologue (Clary, François-Sappey).

Fils d’un médecin pianiste amateur ayant survécu à l’Holocauste, Olivier Greif se tourne vers la musique lors d’un séjour au pensionnat, au sortir duquel sa mère l’encourage à suivre cette vocation soudaine. On le retrouve à New York, aux côté de pères de substitution, tels Berio dont il est l’élève et assistant, et Dalí qui l’encourage à profiter du vent de folie qui souffle sur les États-Unis à l’aube des années soixante-dix. Greif est talentueux et travailleur, bon pianiste, bon déchiffreur, et d’une rapidité d’écriture remarquable. Mais un soudain besoin de se retirer du monde, d’engager une quête spirituelle lui fait perdre de vue quelques amis qui regrettent ce temps perdu pour l’art. D’autres, au contraire, estiment ce renoncement positif puisqu’il a nourrit les œuvres ultimes et transformé le jeune égocentrique en homme ouvert sur autrui. Son « ardeur à vivre », son humour et sa jovialité sont souvent évoqués, à l’opposé d’une production musicale qui trahit un rapport ambigu à la mort (angoisse, acception), voire cultive « un goût pour le morbide ».

Disciple d’un Beethoven chercheur d’émotion, le compositeur aime bousculer, sinon torturer l’auditeur. « Prenez des termes extrêmes et vous aurez la musique d’Olivier », confie la violoniste Gaëtane Prouvost qui parle de partitions cultivant le tumulte et la rugosité, soudain éclairées par un îlot de sérénité. D’autres s’en font l’écho, parlant de brutalité mais aussi de réconfort, et d’une posture romantique d’écrire pour la postérité.

Pour juger d’une musique finalement peu connue, de nombreuses archives de concert constituent l’essentiel du projet écrit et réalisé par Anne Bramard-Blagny et Julia Blagny. Sans même parler des extraits de L’Office des naufragés (1998) [lire notre critique du CD], on peut entendre l’intégralité de pièces d’époques variées, chambristes pour la plupart : Cinq chansons enfantines (1961), Quatre poèmes de Prévert (1963), Le Tombeau de Ravel (1975), Veni Creator (1977), Lettres de Westerbork (1993), Les chants de l’âme (1996), Quatuor à cordes n°3 « Todesfuge » avec baryton (1998), Three settings of Musset (2000), etc. Parmi les œuvres symphoniques, citons le Quadruple concerto « La danse des morts » (1998) et le Concerto pour violoncelle « Durch Adams Fall » (1999).

Un autre atout de cette anthologie est la place réservée à la parole de l’intéressé, quand il n’est pas filmé derrière un clavier. Au fil d’entretiens souvent inédits, Olivier Greif confie l’importance de la spiritualité dans sa vie – devenu haridas, il a choisi le silence durant de longues années, et fait des Chants de l’âme « un hommage plus ou moins confidentiel au Christ », etc. –, mais aussi celle de la rébellion, dans une volonté de « bouleverser » l’auditeur. Ennemi du confort intérieur, emprunteur sans complexe (airs médiéval, écossais ou yiddish, jazz, etc.), le créateur brasse malheureusement nombre d’idées reçues, quand il ne met pas mal à l’aise avec ses convictions esthétiques – « J’aime ceux qui ont donné sens, trouvé sens, qui n’ont pas vu la musique comme une finalité en soi. Mais pour qui la musique est un outil ». Sans en cautionner l’hagiographie, on peut saluer le travail que représente cet hommage aux nombreuses facettes (partitions conçues à la mémoire du disparu, expérience d’empathie émotionnelle au Conservatoire de Dijon, etc.).

LB