Chroniques

par pierre-jean tribot

archives Otto Klemperer
Beethoven – Brahms – Hindemith (vol.1)

2 CD Andante (2005)
AN 2130
archives Otto Klemperer | Beethoven – Brahms – Hindemith (vol.1)

Légende de la direction d'orchestre, le chef allemand Otto Klemperer fut un caractère ombrageux et difficile, miné par des ennuis de santé et des dépressions chroniques. Après des années fastes entre les deux guerres, où il fut directeur de la musique à Cologne, puis chef d'orchestre du moderniste Kroll Oper de Berlin, le musicien connut une émigration assez délicate aux États-Unis, pendant la période nazie. Le sortir de la guerre lui fut particulièrement pénible. Abattu psychologiquement, Klemperer peinait à trouver des contrats, tant sur le vieux continent qu'en Amérique. Pourtant, au milieu des années cinquante, sa carrière va connaître un nouvel essor. Grâce à Eigel Kruttge, son ancien assistant et directeur adjoint du département musical de la Radio de l'Allemagne de l'ouest de Cologne, puis par le truchement du grand Walter Legge, le chef d'orchestre va enchaîner les contrats et les enregistrements. Dans le même temps, sa fille Lotte reprend en main la gestion de sa carrière et le gouvernement allemand lui accorde une confortable pension.

Le présent album reprend des extraits de trois concerts donnés en 1954 dans la Klaus-von-Bismarck-Saal de Cologne. Réputé, sur ses vieux jours, pour ses interprétations intraitables du grand répertoire, Klemperer fut aussi un ardent défenseur de la musique de son époque. Sous sa baguette, la suite Nobilissima Visione de Paul Hindemith n'a jamais sonnée avec autant d'évidence. Cette partition tirée d'un ballet sur la vie de Saint François d'Assise n'est certainement par le chef-d'œuvre du compositeur de Cardillac, mais le chef fluidifie le discours et allège les textures, rapprochant ainsi Hindemith d'un certain esprit mozartien.

Immense interprète des symphonies de Beethoven, Klemperer et les musiciens duKölner Rundfunk-Sinfonie-Orchester offrent deux visions magistrales des Symphonies n°3 et n°4. Dans des tempi assez rapides, sa baguette insiste sur la progression et la construction des œuvres. Puissamment charpentée tout en mettant en valeur la souplesse des cordes, la Symphonie héroïque se hisse au niveau des enregistrements studio EMI avec le Philharmonia Orchestra. On peut en dire autant d'une Quatrième toute en finesse et poésie.

Mais le point fort de ce double album réside dans une interprétation lapidaire du Concerto pour piano n°2 de Brahms. Auteur d'un très bon enregistrement avec Kubelik, le pianiste Géza Anda est proprement survolté, mordant la partition à pleines dents. Dans des tempi très rapides, les deux musiciens emportent tout sur leur passage, dans un élan de romantisme échevelé. Les premier et second mouvements burinés à l'extrême, un Andante d'une douce poésie et un Allegretto grazioso final d'une fluidité renversante, font de ce concert du 5 avril 1954, l'une des plus grandes versions de cette partition.

PJT