Chroniques

par michel slama

archives Teresa Berganza
airs d'opéra – mélodies espagnoles

2 CD Decca (2004)
475 518-2
archives Teresa Berganza | airs d'opéra – mélodies espagnoles

Decca nous livre, enfin, une généreuse compilation, presque exhaustive, de l'art de Teresa Berganza en 2 CD. La grande diva espagnole qui fêtera ses 70 ans en mars prochain est fort injustement méconnue du jeune public. Au mieux, connaît-on sa Carmen de référence qu'elle enregistra avec Abbado et Domingo. C'est vite oublier ce que le « soprano intelligent », comme on l'appelait au sommet de sa carrière, a apporté à l'art du chant. Inévitablement influencée par Maria Callas avec laquelle elle chanta Médée en 1958, à l'aube de sa carrière, elle sut tirer profit des leçons de la Divine, par une intelligence du texte, alliée à une technique infaillible. À la différence de son aînée, elle comprit vite que la longévité de sa carrière serait liée à l'attention qu'elle prendrait à ne pas malmener sa voix pour le seul privilège d'être la plus connue. Elle se trouvait à son zénith dans une salle de taille moyenne permettant à sa personnalité vive et animée et à sa voix ferme et cuivrée, mais d'un petit volume, de s'épanouir au mieux.

C'est donc en 1957 avec le Festival d'Aix-en-Provence naissant, qu'elle débuta aux côtés d'artistes de légende comme Hans Rosbaud, Graziella Sciutti, Luigi Alva, Rolando Panerai et une autre Teresa, l'Américaine Stich-Randall. Dès lors, elle fréquente assidûment le répertoire mozartien sur toutes les scènes européennes où elle incarne de façon inoubliable Chérubin, Dorabella, Sesto et même Zerline pour le Don Giovanni de Joseph Losey, aux côtés de Ruggiero Raimondi, José Van Dam et Kiri Te Kanawa. Elle enregistre énormément, pas seulement pour Decca, mais aussi pour EMI, DGG, Erato, CBS.

Reprise partielle d'un récital Opera Gala, le premier CD nous propose les prises de son Decca et DGG (pour Carmen), au sommet de son art. Outre les rôles mozartiens déjà cités, on y trouve un trésor, l'air de concert Ch'io mi scordi di te, extrait d'un disque paru en 1962, révélation d'un répertoire complètement oublié à l'époque. Après Mozart, Rossini, bien sûr et son Barbier dont l'air fameux de Rosine donne le titre à ce double album. Elle l'enregistre sur disque et vidéo avec Herman Prey, Luigi Alva et Claudio Abbado au pupitre, dans une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle (un must disponible en DVD chez DGG). Le CD propose ensuite des airs des autres héroïnes rossiniennes que sont l'Isabella de L'Italienne à Alger et l'Angelina de la Cenerentola qu'elle incarna avec le triomphe qui marqua chacune de ses prises de rôle. Suivent des airs extraits de l'Orfeo et de l'Alceste de Gluck, tous exemplaires de phrasé, de diction et de musicalité. Pour finir, les deux airs les plus fameux de Carmen qu'elle eut soin d'aborder tard dans sa carrière, à Glyndebourne en 1978.

Plus difficile d'accès au premier abord, le second CD s'apprivoise pourtant facilement. Essentiellement accompagnée au piano, sauf pour les trois derniers cycles espagnols orchestrés, Teresa Berganza dresse un portrait de musique de chambre italienne et espagnole passionnant. Les extraits d'opéra italiens choisis parmi les compositeurs baroques forment des saynètes où elle recrée, suivant l'action, des personnages réels, sensibles et vivants. Mais c'est avec les mélodies espagnoles que le talent unique de Berganza se révèle. Au sommet, bien sûr, les tonadillas d'Enrique Granados et les Sept chansons populaires de Manuel de Falla, inédites en CD et désormais référence absolue, suivies des Huit chansons basques de Jesús Arámbarri superbes, ainsi qu'un hommage à son époux Felix Lavilla avec ses Quatre chansons basques. De superbes extraits de zarzuelas, genre populaire encore peu connu du public français, révélant pourtant des merveilles à mi-chemin entre l'opérette et l'opéra, complètent ce programme de plus de deux heures trente minutes de vrai bonheur.

MS