Chroniques

par laurent bergnach

Arnold Schönberg
Moses und Aron | Moïse et Aaron

1 DVD Arthaus Musik (2006)
101 259
Arnold Schönberg | Moses und Aron

Comme beaucoup de Juifs des milieux aisés résidant à Vienne, en 1898, Arnold Schönberg (1874-1951) se convertit au protestantisme, sans doute par esprit d'assimilation au reste de la société plus que par conviction véritable. Sans parler de sa reconversion au judaïsme en 1933, avant l'exil nord-américain, il faut noter que ses œuvres religieuses se réfèrent à l'Ancien plutôt qu'au Nouveau Testament : la mise en musique de poèmes de Rilke (1914-15) offre une réflexion musicale sur l'interdiction des images, Die Jakobleister (1922) est un fragment d'oratorio dans lequel est abordé le thème des Dix Commandements et de la quête de Dieu, etc. Confronté à la montée de l'antisémitisme, il est indéniable que Schönberg se rapproche de la culture juive, religieuse autant que politique ; dans une lettre datée du 25 avril 1951, on peut lire qu'à l'exemple de Moïse luttant pour la sauvegarde du pur monothéisme au mépris des souffrances et persécutions encourues, « le devoir des musiciens israélites est de donner au monde un exemple, ainsi que l'exige l'humanité si elle veut s'élever véritablement ».

En 1923, le musicien commence à travailler sur ce qui sera son dernier ouvrage scénique, lequel prend d'abord la forme d'une cantate intitulée Moïse et le buisson ardent – épisode constituant la première scène de son opéra, lorsque le missionnaire divin refuse d'assumer la délivrance des Hébreux prisonniers en Égypte. En 1928, il entame l'écriture du livret. Le premier acte est composé de juillet 1930 à juillet 1931, le second terminé en mars 1932. Par la suite, il continue sporadiquement la rédaction du texte de l'Acte III (la mort d'Aron), mais l'œuvre reste à l'état de fragment. L'ouvrage est présenté partiellement à Darmstadt quelques semaines avant la mort du créateur, puis en version de concert (Hambourg, 1954), en amont de la première version scénique (Zurich, 1957).

Traitant du conflit entre la pureté d'une conception monothéiste (un dieu jugé faible par le peuple, friand pour sa part de récompenses et de sacrifices) et la nécessité de communiquer cette pensée (le rôle d'Aron, encourageant les miracles puis la fabrication du Veau d'Or), l'ouvrage est souvent qualifié de drame d'idées ; par là-même, il est sujet à dérapages. Succédant à Willy Decker tombé malade, Reto Nickler doit s'adapter à un décor déjà existant et s'en sort honorablement. L'image fixe ou animée, les références au culte du Moi servent l'histoire sans être écrasants, et la direction d'acteurs s'avère attentive.

À cela s'ajoute la direction d'orchestre de Daniele Gatti – dans la fosse du Staatsoper de Vienne qui présentait ce spectacle en 2006 – ainsi que des chanteurs solides : Franz Grundheber au sprechgesang très précis (Moses), Thomas Moser au chant puissant (Aron), plus le Chœur Philharmonique Slovaque, idéal à plus d'un titre.

LB