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Chroniques
Arnold Schönberg
Gurrelieder
S'il est une œuvre d’Arnold Schönberg qui bénéficie d'une abondante discographie, c'est bien celle-ci ! Les Gurrelieder séduisent les chefs d'orchestre qui, malgré des proportions généreuses et un effectif orgiaque, parviennent à convaincre les maisons de disques de graver leur version. C'est fort intéressant bien sûr, même si c'est d'autant frustrant, puisqu'à l'inverse, les Gurrelieder restent excessivement rares au concert.
Après la lecture électrisante de Simon Rattle où Tove est magnifiquement chantée par Karita Mattila, un rien gâchée par la Waldtaube d’Anne Sofie von Otter, celle de Riccardo Chailly, très équilibrée, tant dans la couleur et le geste que dans le casting (Dunn, Fassbaender, Jerusalem, Becht, Haage, Hotter), celles de Zubin Mehta et de Seiji Ozawa qu'il conviendra d'oublier, nous vous présentions il y a quelques semaines la captation d'un concert munichois, somme toute assez moyen, conduit par un Levine décevant [lire notre critique du CD]. Trois références s'imposent par des qualités diverses. À la somptueuse distribution vocale (Arroyo, Baker, etc.) dont a bénéficié János Ferencsik pour son interprétation très profonde, tonique et romantique, il est à craindre qu'aucune ne se puisse comparer. Mais il n'y a pas que la voix ! Il y a plusieurs décennies, Pierre Boulez s'imposait avec la clarté qu'on lui connaît, dans des années où il fréquentait assidûment la Tétralogie et Bayreuth : Sony publie ce fort bel enregistrement CBS où l'on appréciera également le Waldemar de Jess Thomas et la Waldtaube de Yvonne Minton. Cela fait deux…
Quand à la troisième version plus que recommandable, c'est Robert Craft qui l'a signée pour Koch Schwann, et elle paraît aujourd'hui chez Naxos. Moins wagnérien que Boulez ou Levine, ce grand stravinskien livre un travail d'une clarté exceptionnelle, dans une pâte parfois un peu restreinte, révélant des cordes presque chambristes qui rappelleront Richard Strauss. On entend ici le moindre détail, sans rien perdre de l'ensemble. Il y a là quelque chose de la manière dont Armin Jordan édifie la sonorité de l'orchestre de Parsifal, par exemple. Les interventions solistes de l'orchestre atteignent la perfection à plusieurs reprises : rien à ajouter lorsqu'on aura dit qu'il s'agit ici du Philharmonia Orchestra. Qu'on ne se méprenne pas : Craft sait aussi affirmer le symbolisme de l'œuvre, usant entre autres d'un impressionnant ambitus de nuances et de couleurs qu'il gère comme personne. Une seule réserve : Seht die Sonne, le Finale, est un peu lourd, mais il semble que personne n'y échappe.
On ne sera pas déçu par le plateau vocal. Outre Melanie Diener en Tove, nettement plus sobre que Deborah Voigt pour une expressivité supérieure, on appréciera particulièrement la voix large et très lyrique au timbre chaleureux deJennifer Lane qui offre un grave magnifique (Waldtaube). Moins satisfaisant s'avère la prestation de Martin Hill (Klaus-Narr) : la voix est aujourd'hui fatiguée, et le soutien insuffisant. En revanche, Stephen O'Mara est tout simplement écrasant. Parfois tendu, il sait maintenir une vaillance superbe tout en nuançant avec grande sensibilité. Ajoutant à cela que la Simon Joly Chorale n'est pas en reste… Enfin, une dernière qualité : il n'est pas donné tout les jours de pouvoir s'offrir des Gurrelieder à petit prix.
BB