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Chroniques
Arnold Schönberg
Gurrelieder
Au premier printemps du siècle dernier, lorsqu'il commence la composition de ses Gurrelieder, Arnold Schönberg ignore encore que ce travail l'occuperait plus d'une douzaine d'années. L'idée d'une grande fresque sur le texte de Jens Peter Jacobsen, auquel il avait déjà emprunté quelques poèmes pour des œuvres de moindre envergure, était présente dès le début ; c'est la conception de l'orchestration qui en prolongerait la gestation jusqu'à la création à Vienne en février 1913.
Le label Oehms présente une captation live des Gurrelieder, saisie en juillet 2001 à la Philharmonie de Munich ; elle ouvre la collection Documents of the Munich Years. Ce soir-là, la capitale bavaroise accueillait de grands noms, puisque Ben Heppner était Waldemar, Deborah Voigt Tove, et que nulle autre que Waltraud Meier chantait Waldtaube. Au pupitre du Münchner Philharmoniker et de son chœur, ainsi que du Herrenchor der Bamberger Symphoniker, le chef américain James Levine conduisait sa vision de l'épopée post-romantique.
Aussi est-on plutôt surpris du peu d'intérêt d'une version pourtant prometteuse. Optant tour à tour pour des sonorités volontiers sourdes et des salves de cuivres rutilantes, Levine colore son instrument en soulignant copieusement tout ce qu'il peut déceler de lyrique dans la partition. Le résultat atteint par endroit une plénitude formidable ; à d'autres, il patine dans un miel qui le rend bourgeoisement inerte. Quelques bonnes choses, cependant, comme la délicate mise en valeur des mixtures sur l'introduction de Mit Toves Stimme dans la troisième partie, par exemple. Sa lecture de l'œuvre a le mérite de révéler les influences de Wagner et de Mahler, tout en rendant hommage, par l'opulence des couleurs et l'extrême mobilité de la dynamique, à son créateur, à savoir le compositeur Franz Schreker dont on pressent ici les futurs opéras. Heppner est un Waldemar qui tente quelques nuances rarement réussies d'une voix étonnement fatiguée et lointaine ; l'optique est avant tout opératique, construisant vraiment un personnage, avec tous les avantages et les inconvénients que cela suppose. Car si la présence est bienvenue, la démonstration permanente s'avère gênante. Deborah Voigt accuse un grave aigre, un aigu sans personnalité, tout cela dans un chant bien en place où l'écoute s'égare. Intervalles en escalier, peu de logique entre les extrêmes de la tessiture, tout cela paraît moins flatteur qu'on veut bien le dire habituellement. Aussi, ne perdons pas de vue qu'il s'agit d'un concert, et même si l'on y a monté les bandes de trois soirées pour n'en faire qu'une seule avec ce qu'elles avaient de meilleur, les artistes sont dans une tension différente qu'en studio, et vivent des conditions acoustiques moins flatteuses.Eike Wilm Schulte est un Paysan plutôt efficace qu'il sert d'un timbre clair toujours très direct.
Une surprise notoire : la prestation de Waltraud Meier, s'appuyant sur un grand métier et sur la sensibilité qu'on lui connaît, séduit par une expressivité, une puissance, et une véritable ligne de chant qu'elle n'avait plus usées depuis longtemps ; on y retrouve avec plaisir l'exceptionnelle Brangäne d'il y a trente ans. Enfin, la narration d’Ernst Haefliger s'impose.
Parce que les Gurrelieder restent rares au concert, ce disque est un document non négligeable ; parce qu'il existe des versions de studio largement plus concluantes, il n'est pas essentiel.
BB