Recherche
Chroniques
Arnold Schönberg
Gurrelieder
Du Lied qui constituait le terrain de ses premiers opus à la fin du XIXe siècle, jusqu’à l’inachevé Moses und Aron (édité en 1957) un demi-siècle plus tard, Arnold Schönberg (1874-1951) a montré un intérêt constant pour la voix. Créé avec succès le 23 février 1913, au Musikverein de Vienne, sous la direction de Franz Schreker, Gurrelieder en est la preuve, avec cinq solistes auxquels se joint un récitant. La composition occupe le futur beau-frère de Zemlinsky de mars 1900 à mars 1901, et son orchestration jusqu’en 1911, puisqu’interrompue de 1903 à 1910. Le texte emprunte au Danois Peter Jacobsen (1847-1885) – autant poète admiré par Rainer Maria Rilke et Thomas Mann que botaniste, traducteur de l’ouvrage majeur de Darwin –, résumé ainsi par Alain Poirier (Arnold Schönberg, Fayard, 1993) :
« Le sujet repose sur l’orgueil d’un homme, Waldemar, qui osera défier Dieu après la mort de la femme aimée, Tove, à la suite de quoi il sera condamné à errer dans les cieux accompagné de ses vassaux : tel le Hollandais du Vaisseau fantômeou un Lohengrin égaré, Waldemar est directement issu de la galerie des personnages wagnériens avec son cortège de thèmes romantiques – la nature prise à témoin – ou plus spécifiquement wagnériens tels que la damnation et la quête de la rédemption » [lire nos chroniques du 17 septembre 2006, du 12 septembre 2010, du 14 mars 2014 et du 19 avril 2016].
Avec finesse et onirisme, Pierre Audi met en scène la vaste cantate, aidé par Christof Helzer (costumes et décor) et Jean Kalman (lumières). En première partie, un lit central symbolise la force et le secret d’un adultère – invisible ici, la reine Helwig châtiera l’importune. Puis, entre une procession mortuaire et les blasphèmes au cimetière, le survivant expose désarroi et douleur, tandis que chante le ramier aux allures d’ange macabre. Si un paysan s’inquiète de l’arrivée d’une chasse sauvage, Waldemar croit trouver la paix dans la vengeance : il rejoint une soldatesque cagneuse qui paraît d’outre-tombe. Enfin, présents depuis le début, le bouffon Klaus et la narratrice (excellente Sunnyi Melles) convainquent le roi que seule une mort acceptée redonnera accès aux bras de Tove.
En septembre 2014, De Nationale Opera (Amsterdam) s’honore de la présence d’artistes efficaces : Emily Magee (Tove) au chant infiniment lyrique, l’émouvante Anna Larsson (Waldtaube), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Klaus) qui allie clarté et élégance, ainsi que le sonore Markus Marquardt (Paysan). Burkhard Fritz (Waldemar) incarne sans faillir le héros malheureux de l’histoire, avec une voix précise et vaillante, un jeu expressif qui ne bascule jamais dans l’outrance. Puissante également s’avère l’association des KammerChor des ChorForum Essen et Chœur maison, préparés par Thomas Eitler, pilier de l’institution néerlandaise tout comme Marc Albrecht [lire nos chroniques du 7 juin 2003, du 29 septembre 2005, du 29 mai 2007, du 18 janvier 2008, du 2 octobre 2009, du 4 août 2010, du 27 janvier 2011, du 15 septembre 2012, du 4 octobre 2013, du 3 février 2017 et du 18 décembre 2018]. À la tête du Nederlands Philharmonisch Orkest, le chef allemand dirige avec une clarté aux chatoiements postromantiques un spectacle méritoire, dédié à la mémoire de Gerard Mortier.
LB