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Chroniques
Arrigo Boito
Mefistofele | Méphistophélès
Hector Berlioz et Charles Gounod en tête, les compositeurs de l'époque romantique se sont emparés du mythe de Faust. Arrigo Boito – le talentueux librettiste de Verdi -, puisant directement dans les deux parties de l'œuvre de Goethe, a souhaité donner la vedette au tentateur plutôt qu'au damné.
Créé le 5 mars 1868 à La Scala de Milan, l'opéra en quatre actes, avec prologue et épilogue, est un échec. C'est à Bologne, sept ans plus tard, que l'ouvrage raccourci d'un tiers trouve son public. Arturo Toscanini s'attache à faire entrer Mefistofele au répertoire italien tandis que Georges Bernard Shaw déclare que l'œuvre est « un exemple tout à fait intéressant de ce qu'un excellent auteur littéraire est capable de produire en matière d'opéra, sans avoir de véritable talent musical, mais possédant en revanche dix fois plus de goût et de culture qu'un musicien de génie ordinaire ». Boito (1842-1918) est effectivement un passionné de littérature, à l'avant-garde de la vie intellectuelle. Par ailleurs journaliste et critique, il s'est maintes fois élevé contre la culture officielle et établie. Peut-être est-ce pourquoi le combat entre le bien et le mal est si souvent au centre de ses préoccupations artistiques (voir son Nerone inachevé).
Voulant défier Dieu, Méphisto souhaite réussir à damner l'âme du Docteur Faust. Tous deux se retrouvent le dimanche de Pâques et Méphisto se présente ainsi : « une partie vivante de la force éternelle qui ne pense qu'au mal, et fait le bien ». Pour une heure de repos véritable, plus du tout soucieux des mystères et du sens de l'existence, Faust accepte de signer un pacte. Entre deux scènes de Sabbat, une scène de jardin idyllique nous permet de faire connaissance avec l'innocente Marguerite tombant amoureuse de Faust, rajeuni par enchantement. La joie de la malheureuse sera de courte durée : délaissée par son amant, elle sera accusée d'avoir noyé son bébé et empoisonné sa vieille mère. Bien qu'en prison, attendant la justice des hommes, elle refuse de s'évader avec Faust rempli de remords, préférant mourir avec le pardon du Ciel que de devoir la vie au maître des Ténèbres. Traversant le temps, Faust s'adonne encore à l'amour, avec un idéal de beauté et de pureté (Hélène de Troie) puis fait le constat de son existence : le Réel était un enfer et l'Idéal un rêve. Comme Marguerite, il se tourne vers Dieu et meurt lentement, échappant de justesse à la damnation prévue par un Méphisto impuissant à le retenir.
Cette production révèle beaucoup de points forts : la mise en scène relativement simple de Robert Carsen – reprise en 1989 à l'Opéra de San Francisco, après Gand et Anvers –, les décors de Michael Levine, les costumes de Jennifer Green (surtout pendant la procession de Pâques) et sa distribution.
L'entrée de Mefistofele par la fosse, ses chaussures dans un étui à violon, donne tout de suite une couleur au personnage incarné avec talent par Samuel Ramey. Ce sont ensuite la voix de basse puissante et la gestuelle très étudiée du chanteur qui feront de lui l'attrait principal du spectacle. Faust, débarrassé de son ton de patriarche tranquille, offre au ténor Dennis O'Neill de nombreuses occasions de chanter l'amour avec beaucoup d'élégance. La soprano Gabriela Benackova joue Margerite puis Elena. Elle aussi chante l'amour, mais elle est plus intéressante en conteuse hallucinée, soit du passé (Marguerite quasiment folle, qui nous parle de sa prison sans murs, ronde comme le jardin de son idylle avec Faust, grise comme les cendres de son amour), soit du futur (la destruction de Troie). La voix est suave et émouvante, toujours nuancée. Le chœur, si souvent présent pour représenter les forces en présence, est celui de l'Opéra de San Francisco –ainsi que l'Orchestre dirigé vaillamment par Maurizio Arena.
LB