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Chroniques
Arthur Honegger
œuvres pour orchestre
Honegger est un membre à part du Groupe des Six. Il est d'origine suisse, certes, mais cela n'explique pas tout, c'est évident. Sauvé de l'oublié relatif dans lequel sont tombés par exemple Germaine Tailleferre ou Georges Auric – dont pour ce dernier on ne connaît guère plus que sa musique de film –, Honegger ne bénéficie pourtant pas de la gloire internationale et durable d'un Poulenc. Injustice. Car quel autre compositeur français dudit Groupe aurait été capable comme lui de nous embarquer avec un même enthousiasme juvénile et tonitruant dans un train en marche, au sein d'une mêlée de rugby, ou encore dans le secret d'une liturgie chrétienne teintée du tragique propre à la barbarie des années quarante ? Honegger sait être simultanément sur tous ces fronts en faisant preuve d'une incroyable imagination musicale – c'est-à-dire, dans ce cas d'espèce, d'une capacité à créer des images vivantes et authentiquement tridimensionnelles à partir de sa palette sonore, intarissable et généreuse.
À la tête du New Zealand Symphony Orchestra, Takuo Yuasa offre une intéressante anthologie d'œuvres orchestrales de l'Honegger des années trente et quarante, écrites à une époque où le compositeur donnait encore un programme assez précis à ses créations.
LaSymphonie n°3 « Liturgique » de 1945 semble nous en apprendre beaucoup sur l'homme et son rapport au monde – symphonie tripartite à programme qui évoque la destruction du monde dans un Dies irae sinistre et violent, puis la lamentation de l'homme dans un De profundis subtile et touchant, le tout se résolvant dans un Dona nobis pacem aux accents assez obsédants et répétitifs qui renvoient, selon l'auteur, à l'image d'une armée de robots avançant contre des gens civilisés. On lira avec profit un petit essai mal connu de Bernanos, La France contre les robots de la même époque pour bien prendre la mesure de cette crainte d'un monde totalement soumis à la barbarie mécanisée de la guerre moderne. La même année, Henri Sauguet écrira sa première symphonie, sous-titrée Expiatoire, sans donner d'autre programme que celui de marquer une pause musicale réflexive après la conflagration mondiale de la seconde guerre mondiale.
Bien avant, en 1920, le jeune Honegger de Pastorale d'été décrivait un été alpin au-dessus de Berne, plein de chaleur et de fragilité, et n'hésitait pas à mettre en exergue de sa partition du Rimbaud : « J'ai embrassé l'aube d'été… ». Ce que le petit Suisse fait très bien, dans d'épais nuages de cordes ondoyantes – certainement le plus joué de ses opus.
Trois ans plus tard, trentenaire, il donne l'une de ses œuvres les plus impressionnantes et remarquables, entre l'exercice de style absolu et le chef-d’œuvre, Pacific 231, décrivant un train en marche en exprimant notamment l'accélération par des notes de valeur décroissantes tout en accélérant lestempi. Nous suivons la course du train à grande vitesse de 1923 dans sa course-infernale aux accents de tarentelle ou de marche militaire burlesque et mécanisée le long du Pacifique… Inoubliable, notamment pour tous ceux qui n'ont pas connu les trains à compartiments.
Dans Rugby : mouvement symphonique, Honegger n'hésite pas à nous convier au sein de la mêlée, au ras du terrain, dans la sueur et la boue, pour une miniature symphonique si puissamment suggestive qu'elle a dû faire des générations de mélomanes, si ce n'est de rugbymen, et cela depuis 1928. Les masses orchestrales se passent le ballon, se confrontent, s'opposent, jusqu'à se fracasser parfois, mais le sport demeure le vrai gagnant, ainsi que la musique.
Le programme est complété par une pièce moins connue (et certainement plus intéressante que les précédentes) : le Mouvement symphonique n°3, commandé par Wilhelm Furtwängler en 1933 pour la Philharmonie de Berlin. Tiens ! Berlin, 1933 ? Inutile de dire que ce morceau complexe, âpre, et aux accents stridents valut au plus alpin des Six l'hostilité des nazis.
Takuo Yuasa, chef japonais assez mal connu en France, si ce n'est par le disque, réussit une belle anthologie orchestrale – précise et lyrique – que l'on écoutera de bout en bout en restant cloué dans son fauteuil avec la ferveur et l'attention du détail que l'on accorde d'ordinaire au cinéma d'auteur ou à la musique de Richard Strauss. Le label Naxos complète de la sorte les quelques belles références qu'il proposait déjà sur la musique d'Honegger (dont un beau Roi David dirigé par Michel Piquemal, et des anthologies de musiques de films). Et tout cela pour un prix plus modique qu'un Paris-Bordeaux en troisième classe sur le Pacific 231…
Évidemment l'ovalie a changé de visage depuis l'arrivée de la télévision dans les stades, évidemment le TGV a relégué la vieille loco rouillée à la casse ou au cimetière des éléphants, et les églises ont presque toutes fermé pour cause de cessation de paiement, mais les œuvres d’Honegger restent là, bien vivantes, telles des témoignages de cette France un peu désuète des années trente, au bord du gouffre de l'histoire, mais si charmante que l'on donnerait tant pour l’avoir connu.
FXA