Recherche
Chroniques
Arthur Honegger
Les Misérables
Cet enregistrement de la musique composée par Arthur Honegger pour le film de Raymond Bernard Les Misérables d'après Victor Hugo n'est pas une nouveauté : il était paru à la fin des années quatre-vingt dans la précieuse collection Marco Polo et ressort maintenant sous le label Naxos.
Adriano, chef d'orchestre et compositeur presque autodidacte, comme il se définit lui-même dans le livret de présentation (en anglais et allemand), a réalisé un travail de réorganisation de la partition initiale qui, telle quelle, eut été parfaitement inexploitable au disque, puisque le premier montage du film était composé de trois sections de quatre-vingt dix minutes. L'intérêt de ce montage musical d'une heure est de rendre justice, par un jeu de recomposition des fragments, à la dynamique réelle de la musique – qui n'est plus contrainte par la narration brisée, syncopée et autoritaire du film.
Honegger a consacré une part importante de sa production à la musique de film. Si Georges Auric, un autre membre du Groupe des Six, est certainement plus emblématique de cet intérêt des compositeurs nés à la fin du XIXe siècle pour le cinéma, on oublie parfois que l’intéressé a composé pour les salles obscures une quarantaine de partitions entre le début des années vingt et les années cinquante ; c'est à dire qu'il a traversé presque toutes les mutations technologiques du cinéma, depuis l'ère du muet jusqu'à l'avènement de la couleur. On lui doit notamment des partitions pour plusieurs films d'Abel Gance – La roue (1922) et le fameux Napoléon (1926) –, mais aussi pour des succès plus tardifs tels que Regain réalisé par Marcel Pagnol à la fin des années trente.
Inutile de préciser que l'auteur de la musique si suggestive de Pacific 231 (cette locomotive parfaitement cinématographique… qui nous ferait regretter que la partition de La Bête humaine de Renoir ait été confiée à l'indéboulonnable Kosma), ou de Rugby, mais aussi de la musique si puissamment lyrique du Roi David et de Jeanne d'Arc au bûcher, sait développer un univers captivant autour des personnages d’Hugo, qui s'attache à la psychologie tout autant qu'à l'action. Honegger semble vouer une sincère affection aux figures de l’écrivain, telle Éponine, la fille des Thénardier, dont il sait décrire la mort avec un lyrisme déchirant. On reste également confondu à l'écoute de la section Dans les égouts où Honegger construit par touches subtiles une ambiance parfaitement angoissante qui se passe sans problème du support filmique. Dans Fantine, il fait preuve d'un lyrisme cinématographique digne du son hollywoodien et des meilleures partitions de Miklos Rozsa. On se délectera aussi des musiques presque funèbres de Convoi nocturne et d’Évocation des forçats qui ne sont pas sans rappeler la partition qu’Éric Demarsan composera plus tard pour L'Armée des ombres de Melville.
Ce sont donc dix-sept savoureuses miniatures de ce genre qui émaillent cette galette ayant le mérite immense de nous faire découvrir une partition souvent négligée, un disque qui n'en reste pas moins réservé aux amateurs de musique de film ou aux fans inconditionnels d’Honegger. On conseillera aux mélomanes qui veulent simplement découvrir le compositeur suisse de commencer par d'autres partitions, telles que Pacific 231 [lire notre critique du CD] ou les autres œuvres susmentionnées.
L'enregistrement d'Adriano à la tête de l'Orchestre Symphonique de la Radio Slovaque, en 1989, est annoncé digital par le livret. On veut bien le croire tant le son (du numérique vintage) manque parfois d'épaisseur, et l'orchestre d'aération entre les plans. En revanche le chef et son instrument sont parfaitement au diapason d'une partition à la fois très lyrique et dynamique.
FXA