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Chroniques
Aurélien Dumont
œuvres pour ensemble
Pour son quarantième anniversaire, Aurélien Dumont (né en 1980, à Marcq-en-Barœul) retrouve un label à l’origine d’une première monographie, voilà cinq ans [lire notre critique du CD]. À l’époque, le docteur en composition musicale n’était pas encore pensionnaire à la Ville Médicis (2017-2018), institution où furent composées ou révisées les trois œuvres que l’on découvre ici, toutes créées à l’Auditorium Marcel Landowski (CCR, Paris) par l’Ensemble 2e2m dirigé par Pierre Roullier [lire nos chroniques du 16 janvier et du 3 mai 2018]. De l’aveu même de leur auteur alors sans rivage à l’horizon, elles construisent « une “quête de la marée”, à la fois dans ses dimensions physique et poétique » (notice) – comme l’indique assez Tide inscrit sur la jaquette (marée, en anglais).
Pièce la plus ancienne au programme, Baïnes ouvre le cycle d’Il libro di oggetti alterati (Le livre des objets altérés), lequel interroge les mises en tension esthétiques du dialogue avec d’autres formes artistiques. Si elle peut être exécutée sans projections, l’œuvre s’accompagne habituellement des vidéos silencieuses de Jennifer Douzenel, images conçues « dans une traque continue d’éphémères moments suspendus où la réalité est transfigurée » (site du compositeur). Quatre parties la structurent dont Mascaret, la plus longue. On y goûte un savoir-faire et une inventivité fort libre, mais ses accents de boîte à musique à la Matalon, son aspect de vaste mosaïque laisse froid. On lui préfère le bruissement continu d’Hong Kong, plus intrigant, teinté d’inquiétude et d’étrangeté, ou encore le tendre balancement de Blink. Jupiter clôt la pièce, oserait-on dire, sur une queue de poisson.
Le 20 mars 2018, Flaques de miettes voit le jour, dont le titre annonce l’aspect parcellaire d’une œuvre sans réel commencement ni fin, qui fait se succéder dix petits mouvements à interpréter dans l’ordre que l’on souhaite (VII à X, puis I à VI, dans le cas présent). « Leur singularité réside dans le rapport d’un couple peu probable “hésitation directionnelle/homogénéité du matériau”, explique Dumont ;ainsi se construit une sorte d’état déambulatoire en proie aux doutes et à l’évanescence d’un équilibre perdu ou fantasmé ». On y aime les impédances rythmiques qui se perturbent les unes les autres, des sonorités très fines ainsi qu’une expressivité joueuse qui s’avère l’une des signatures récurrentes du compositeur.
Pour finir, Âpre bryone met en regard cinq poèmes d’Emily Dickinson (1830-1886) au sein d’une trame à la fois narrative et contemplative. Le matériau s’inspire de certaines polyphonies orales du XIIIe siècle, alors que « les fulgurances dickinsonniennes trouvent leurs échos dans des gestes électroacoustiques légers, imagés et ponctuels, qui peuvent fragmenter le discours ou tenter de se l’approprier » (ibid). Cette matière synthétique convainc, et l'on aime aussi le côté rituel, voire incantatoire de l’œuvre – atteignant un sommet avec la répétition de la phrase médiane, An Hour is a Sea, par le soprano Hélène Fauchère –, sans oublier des moments hypnotiques liés à une sorte de rock progressif qui rappelle le meilleur de Romitelli.
Et puisqu’un cher disparu vient d’être évoqué, saluons également la mémoire de Paul Méfano (1937-2020), compositeur inclassable et fondateur de 2e2m (1972) qui nous a quittés le 15 septembre dernier.
LB