Chroniques

par bertrand bolognesi

Béla Bartók
pièces pour piano

1 CD Hortus (2021)
203
Très beau CD Bartók de Matteo Fossi sur piano Fazioli, sous label Hortus...

Entièrement consacré à des opus bartókiens d’inspiration folklorique, ce programme fut enregistré dans le Frioul, sur un piano Fazioli, comme c’est toujours le cas avec Matteo Fossi, à qui l’on doit, outre un brillant album consacré à Johannes Brahms [lire notre critique du CD], de fort belles gravures pour le label Hortus – parmi lesquelles les menus Debussy et Schumann auxquels va notre préférence. Pas à pas avec la notice très renseignée de la musicologue Claire Delamarche, saluée dans ces colonnes pour l’excellent livre sur Béla Bartók qu’elle publia chez Fayard [lire notre critique de l’ouvrage], le pianiste toscan fait voyager l’auditeur dans les promenades du compositeur hongrois, illustrées par des pages bien connues comme les dernières du Livre VI de Mikrokosmos ou les Danses populaires roumaines de 1915, mais encore par des raretés, telles les Élégies de 1909, fort peu présentes au disque.

L’ostinato évolutif de la première des Six danses en rythme bulgare (Mikrokosmos VI, 1939) fait gentiment danser un chant volubile que Fossi magnifie dans les couleurs riches de l’instrument choisi et son art incontestable de la nuance. La suivante laisse entrevoir les danseurs dans un piétinement savant, quand la troisième accuse une étrangeté incantatoire qui fascine, avant l’entraînant chaloupé de la quatrième, puis la joyeuse poursuite jusqu’à l’impossible, enfin l’ultime, brillante et joueuse. Avec bonheur on retrouve sous ces doigts gourmands les célèbres Danses populaires roumaines, dont celle du bâton bénéficie d’emblée d’une remarquable délicatesse interprétative. Passé l’aphoristique ceinturon, tout en douceur charme l’invention timbrique de la Danse sur place, cédant vite place au poétique élan du bucium (corne à l’aide de laquelle rabattre les troupeaux) et à sa cordiale reprise, puis à la franchise d’une polka, développée, pour finir, à petits pas.

Plus farouches s’avèrent les Deux danses roumaines de 1910 qui gardent ici leurs secrets, grâce à une percussivité volontairement timorée par l’interprète qui de l’œuvre révèle ainsi d’autres atouts. Trois ans plus tôt, Bartók écrit Trois chants populaires du comitat de Csík. On goûte le mystérieux Rubato en oubliant presque le piano, tant probante est l’imitation par le compositeur et par l’artiste, développé dans une variation médiane avant l’éclat de la conclusion, dans une clarté inattendue. En regard, les Improvisations sur des chansons paysannes hongroises (1920) témoignent d’une conception plus personnelle encore dont séduit l’aura debussyste. Parmi de nombreux moments brefs où la griffe du maître empoigne à bras le corps les sources collectées se distinguent deux numéros (Lento rubato, III et Sostenuto, VII) plus typiquement bartókiens dont on reconnaît la manière dans l’œuvre du Hongrois.

Ainsi – et par-delà certains aspects trouvant quelque attache postromantique – des énigmatiques Deux élégies de 1909 que Matteo Fossi nimbe adroitement d’une mélancolie suave, voire d’une relative rudesse expressive qui contraste avec une onirique fluidité (Molto adagio, rubato, II). À Bucarest, dix ans plus tard, le 21 avril 1919, Bartók créera lui-même la Suite Op.14 qu’il avait écrite en 1916. Des réminiscences folkloriques s’y font nettement entendre, de la joute villageoise supposée de l’Allegretto initial aux piquants Allegro molto et Scherzo dans lesquels Ligeti a beaucoup puisé, le Sostenuto final avançant une méditation qui semble ne pas entrer dans le cadre. Terminons notre parcours dans ce beau CD – parcours qui n’en suit pas l’ordre des plages – avec le fameux Allegro barbaro de 1911 dont le pianiste dévoile une musicalité plus affirmée que d’accoutumé. À écouter et réécouter sans modération !

BB