Chroniques

par laurent bergnach

Beat Föllmi
Othmar Schoeck ou Le maître du Lied

Éditions Papillon (2013) 224 pages
ISBN 978-2-940310-45-6
Othmar Schoeck ou Le maître du Lied, une biographie de Beat Föllmi

Ces dernières années, l’image d’Othmar Schoeck (1886-1957) a beaucoup évolué, entre celle chargée d’or d’Hans Corrodi, qui en fait un fer de lance contre la « décadence du modernisme », et celle, iconoclaste, de Chris Walton, fasciné par la vie privée de l’artiste qu’il associe au libertin. Professeur de musique sacrée à l’Université de Strasbourg, Beat Föllmi invite le lecteur à découvrir de façon plus objective l’un des plus importants compositeurs suisses du XXe siècle, avec Martin et Honegger, dont il a une connaissance intime depuis bientôt trente ans (éditions, colloques, etc.).

Avec ses trois frères, Othmar jouit d’une enfance assez libre, entre une mère occupée à perpétuer une tradition hôtelière en s’occupant des cent quinze chambres de l’hôtel Eden et un père fantasque qui a combattu les desiderata de sa famille pour se consacrer à la peinture et à la chasse – c’est d’ailleurs dans l’atelier de ce dernier que le cadet connaît un baptême protestant. De ces années buissonnières, le compositeur de Penthesilea [lire notre critique du CD] va garder le dégoût de l’astreinte scolaire, des cadres bourgeois et des obligations mondaines. On comprend que ses retards légendaires, sa tenue négligée comme chef de chœur dans sa jeunesse [lire notre chronique du CD] vont lui causer bien du tort…

Vers l’âge de neuf ans, Schoeck commence par suivre des cours de piano ; puis il écrit de la musique. Trois années à l’Industrieschule(établissement formant à des métiers « pragmatiques ») sont un calvaire pour ce mathématicien médiocre, auxquelles succèderont celles passées aux conservatoires de Zurich (1904) et de Leipzig (1907). C’est que Max Reger, séduit par les compositions du jeune homme, l’invite à venir étudier avec lui, en Allemagne. Le Bavarois est le premier d’une longue liste de musiciens et mécènes à soutenir Schoeck, à divers moments de sa carrière : Ilona Durigo (contralto), Fritz Brun (compositeur), Dieter Fischer-Dieskau (baryton), etc.

Alors que tout commence bien, l’artiste est bientôt dépité par l’échec de ses opéras successifs – d’Erwin und Elmire (1916) à Das Schloss Dürande (1943) –, à chaque fois révisés, qui devaient lui assurer reconnaissance internationale autant qu’aisance financière. Mais, pire que tout, la fin de la Première Guerre mondiale le met face à une modernité artistique dans laquelle il va se fondre quelque temps – Elegie Op.36 (1923) [lire notre critique du CD] – avant de rejeter ceux qui manient banalité et ironie (à l’exception de Křenek, peut-être). « On a soudain l’impression, dit-il, d’être soi-même totalement dépourvu de talent, à moins que les novateurs le soient eux-mêmes ».

À dater de son mariage malheureux avec Hilde Bartscher (1925), laquelle cherche à endiguer ses débauches nocturnes, le misanthrope vit des années pétries de résignation et d’amertume, illuminées par quelques succès mais assombries par l’intérêt croissant du Reich. Si à titre privé Schoeck trouve le régime d’Hitler ridicule et petit-bourgeois, il accepte pourtant un homme compromis comme librettiste de son ultime opéra créé à Berlin. La Suisse lui pardonne d’avoir profité de la situation sans avoir prêché pour le national-socialiste ; sans doute car, d’une certaine façon, le « dernier des romantiques » n’est déjà plus de ce monde…

LB