Chroniques

par michel slama

Bel canto
ténors au temps du 78 tours (vol.2)

1 DVD TDK (1997/2005)
DV-DOCBEL2
seconde partie d'une édition consacrée aux ténors au temps du 78 tours

TDK propose la seconde partie d'une édition en deux DVD, consacrée aux ténors au temps du 78 tours. Il s'agit de la reprise d'émissions produites depuis 1997 par la Communauté des Radios et Télévisions Allemandes, aidée par la Radio Télévision Suédoise et la Fédération Internationale des Archives Télévisuelles. Le travail effectué est absolument essentiel. En sept chapitres – d'inégal intérêt cependant –, voici une biographie presque exhaustive de quelques-uns des plus grands ténors qui ont marqué la première partie du XXe siècle, complétée de témoignages vidéo et audio incomparables. Chaque générique est particulièrement soigné : sur reconstitution en noir et blanc d'une séance d'enregistrement, on y retrouve avec un plaisir renouvelé, l'air O paradis de L'Africaine de Meyerbeer, chanté par chacun des différents ténors.

Au programme : Lauritz Melchior (1890-1973), Helge Rosvaenge (1897-1972), Jussi Björling (1911-1960), John Mc Cormack (1884-1945), Georges Thill (1897-1984), Ivan Kozlovsky (1900-1993) et un septième chapitre consacré au robot chantant, première machine capable de reproduire les sons, illustrée par des enregistrements deFernando de Lucia, le vétéran (1860-1925) et professeur, entre autres, de Georges Thill. De cet ensemble particulièrement sympathique et gentiment désuet se détachent trois artistes : Melchior, Thill et Björling. Les autres, moins connus, sont présentés suivant la même logique : biographie illustrée de nombreux témoignages de critiques, d'amis et de membres de la famille du chanteur. Une iconographie rare et riche complète les extraits sonores et visuels, fruits d'une recherche acharnée des producteurs, spécialement en ce qui concernant l'Ukrainien Kozlovsky, quasiment inconnu du public français, que les archives soviétiques ont fini par révéler.

Commençons, donc, par le grand wagnérien Lauritz Melchior, peut-être le plus charismatique. De Bayreuth à Hollywood, on suit avec intérêt l'itinéraire incroyable de cette personnalité hors du commun, à travers des images de la télévision américaine et des commentaires particulièrement intéressants de la grande Astrid Varnay. Si la partie allemande nous le restitue tel qu'on l'imaginait, on reste ébahi par sa carrière hollywoodienne. Dans un extrait de film des années cinquante, on est ému par une incarnation plus vériste que nature du Pagliacci de Leoncavallo, et amusé par ses prestations truculentes de musicals au côté de Jimmy Durante. D'une longévité époustouflante, on ne peut qu'admirer la beauté de cette célébrissime mélodie de Grieg, chantée en suédois à plus de soixante-dix ans, qui clôt ce premier épisode.

Rarement chanteur français fut prophète en son pays comme Georges Thill, auquel est dédié le cinquième épisode. C'est un réel plaisir de retrouver notre plus grand ténor, exemple incroyable de diction, de style et d'engagement les plus parfaits, quel que soit le répertoire. Avec émotion, on voit les extraits de son film consacré à la Louise de Charpentier (1938, avec Grace Moore) et de passionnants extraits d'émissions où il témoigne de sa façon de chanter et d'articuler, qu'il tient de Fernando de Lucia, le professeur de ses débuts. Le ténor explique avec beaucoup de simplicité la difficulté de vivre chanteur. Que ce soit dans le Lohengrin de Paris, chanté en français ou dans Salut demeure, chaste et pure du Faust de Gounod, Thill est tout simplement parfait ! Toute sa carrière lyrique et cinématographique est retracée, jusqu'au concert d'adieux, en pleine gloire, à cinquante-huit ans, avec de nombreux témoignages d'archives inédits : 28'15'' de bonheur.

Le troisième ténor, le plus proche de nous, reste une référence absolue en termes de chant élégiaque : Jussi Björling, présenté sous un jour inédit. Ainsi le découvre-t-on aux côtés de son épouse, également chanteuse, grâce à une copieuse iconographie. Qui se souvient qu'en 1920, à l'âge de neuf ans, avec ses frères et son père, il débutait dans le quatuor vocal familial The Björling male voice quartet ? Concernant l'art du chanteur suédois, le témoignage de sa compatriote Elisabeth Söderström, grand soprano des années 60/70, est émouvant et plein d'enseignement sur le charisme et la générosité du ténor, tout comme celui de Ingvar Wixell, baryton de la même époque. Au son d'un Ingemisco du Requiem de Verdi d'une perfection absolue, critiques et descendants égrènent le fil d'une carrière extraordinaire où Björling a quasiment tout interprété : Radames, Riccardo, Manrico, Rodolfo, Don José, Pinkerton, etc.

Bref : un second volet tout aussi indispensable et passionnant que le premier. À quand une publication comparable autour des soprani ?

MS