Chroniques

par hervé könig

Benedetto Ferrari
œuvres pour voix

1 CD Ambroisie (2002)
AMB 9932
Benedetto Ferrari | œuvres pour voix

Né à Reggio Emilia en 1603, Benedetto Ferrari possède encore son mystère, des années entières de sa vie nous étant inconnues. Cependant, on peut reconnaître en lui un virtuose du théorbe (d'où son surnom à Rome de Benedetto della Tiorba) et un éternel voyageur qui offre ses services mais ne se fixe jamais longtemps : de 1637 à 1641, il travaille à Venise ; de 1651 à 1653, c'est l'empereur Ferdinand III qui l'accueille à la cour de Vienne, et ainsi de suite.

Qu'il soit poète en plus d'être musicien – les deux expressions n'étaient-elles intimement liées durant les quelques siècles qui précédèrent ? – explique sans doute son intérêt pour la voix et pour la composition de mélodrames sur ses propres textes : La maga fulminata (1638), Il pastor regio (1640), etc. Il ne reste malheureusement plus rien d'une dizaine d'opéras de sa plume. À la même époque sont édités à Venise les trois livres des Musiche a voce sola (1633, 1637, 1641) qui illustrent – en moins de dix ans – l'évolution stylistique de la monodie accompagnée, de l'aube du recitar cantando à la vocalité, plus spécifiquement mélodique et rythmiquement mieux définie, dominant le mélodrame du milieu du siècle.

En voici les extraits présentés sur ce disque : Chi non sà come amor – Io dissi al cor – Non fia più ver – Occhi miei che vedeste (Livre I) ; Quando prendon riposo – Queste pungenti spine – Lingua di donna – Cielo sia con tua pace (Livre II) ; Amanti, io vi so dire – Udite, Amanti – Avverti ò cor – Degg'io amarvi – M'amo tanto costei – O monumenti (Livre III).

Dans le premier livre, l'influence du style déclamé détermine une écriture musicale qui fait un large usage de l'arioso. À l'inverse des arie, celui-ci ne dépend pas du mètre poétique mais d'une exigence d'emphase émotionnelle et rhétorique. On y trouve également des éléments hérités du madrigal. Ferrari est resté longtemps fidèle à l'arioso, l'illustrant selon différents formules. Il écrivit à partir de textes de Giovan Battista Guarini, Gian Francesco Busenello, Octavio Orsucci... et bien sûr, de ses propres œuvres, comme pour l'intégralité du troisième livre. C'est l'époque où l'on met en musique des textes volontiers moralisateurs ou religieux plutôt qu'amoureux (cf. Domenico Mazzochi et Giacomo Carissimi).

On retrouve sur ce disque le jeune contre-ténor Philippe Jaroussky que nous avons eu plusieurs fois le très grand plaisir d'entendre, comme en témoignent notre présentation de La Morte delusa il y a quelques mois [lire notre critique du CD], ou encore nos souvenirs de ses prestations dans Catone in Utica ou La Verità in Cimento. Il interprète avec beaucoup d'esprit et de sensibilité ces chansons, jamais trop chantées, pour ainsi dire, à la frontière de la musique populaire et de l'art savant. On appréciera une ornementation choisie et travaillée, dans un style parfait. Il est ici accompagné par l'ensemble Artaserse qui vit le jour en octobre 2002, à l'occasion d'un concert réunissant les complicités de Claire Antonini au théorbe, Nanja Breedijk à la harpe baroque, Christine Plubeau à la viole de gambe et Yoko Nakamura au clavecin et à l'orgue. Ambroisie signe là un disque qu'on ne se lassera de réécouter, y découvrant à chaque nouvelle audition des subtilités à approfondir. Bravo !

HK