Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Attahir – Maurice Ravel
œuvres pour orchestre

1 CD Alpha (2019)
562
À la tête de l'Orchestre National de Lille, Bloch joue Attahir et Ravel

En 2016, pour ses quarante ans, l’Orchestre national de Lille s’est doté d’un nouveau chef, Alexandre Bloch – lequel est également chef invité principal des Düsseldorfer Symphoniker depuis la fin de l’année précédente. La phalange française propose aujourd’hui un programme Ravel, compositeur qu’elle connaît bien et avec lequel ses musiciens souhaitent « pousser le travail plus loin » (dixit Bloch), rehaussé d’un concerto pour serpent et orchestre signé Benjamin Attahir.

Né d’une mère basque qui lui chantait des airs de son pays, Maurice Ravel (1875-1937) puise abondamment à cette source, que ce soit pour Pavane pour une infante défunte (1902), L’heure espagnole (1911) et, plus encore, le Boléro (1928), aux thèmes quasi-impersonnels issus « des mélodies populaires de type arabo-espagnol » (in Vladimir Jankélévitch, Ravel, Seuil, 1956). D’une première version pour deux pianos, écrite durant l’été 1907, Rapsodie espagnole M.54 devient rapidement une suite pour orchestre, donnée le 15 mars 1908 par les Concerts Colonne. Manuel de Falla y relèverait une chose qui l’enthousiasme : « cet hispanisme n’était pas obtenu par la simple utilisation de documents populaires, mais beaucoup plus (la jotade la Feriaexceptée) par un libre emploi des rythmes et des mélodies modales, et des tours ornementaux de notre lyrique populaire, éléments qui n’altéraient pas la manière propre de l’auteur » (ibid.).

Hélas, comme déçoit la version offerte ici ! Dès Prélude à la nuit, l’absence de clarté, puis de mystère font craindre le pire, dans la forme et le fond. Malagueña manque d’ampleur, impression confirmée par Habanera où se perd la pulsation dansée, au risque de devenir soporifique. Enfin, exempt de toute brillance, Feria n’a rien pour emporter l’auditeur.

Avec Daphnis et Chloé (1912), Ravel répond à une première commande de Diaghilev, le célèbre impresario des Ballets Russes. Tous deux veulent ensuite célébrer le faste et la légèreté Mitteleuropa, dans un hommage à Johann Strauss que rend indécent l’arrivée de la Grande Guerre. Réformé en 1917, le Français s’installe pour quelques semaines chez l’écrivain André-Ferdinand Hérold (fin 1919) et compose ce qu’il appelle une « espèce d’apothéose de la valse viennoise à laquelle se mêle dans [s]on esprit l’impression d’un tourbillon fantastique et fatal » (ibid.). Le commanditaire ayant signifié son refus – « Ravel, c'est un chef-d'œuvre, mais ce n'est pas un ballet. C'est la peinture d'un ballet » –, La valse M.72, devenu poème chorégraphique, est créé le 12 décembre 1920, par les Concerts Lamoureux.

Malgré une approche rythmique tout d’abord convaincante – le pouls de la valse, sa respiration, voire sa mécanique –, force est de constater que le chef use de tempi trop élastiques qui fragmentent une œuvre pleine d’allant. Ralentis et rubati fort appuyés donnent un résultat assez laborieux. De même, la sensualité attendue laisse place à une brume terne que n’arrivent pas à disperser quelques éphémères miracles de timbres. Bref, le champagne est éventé…

Compositeur en résidence à Lille (2017-2019), Benjamin Attahir (né en 1989) est connu pour puiser son inspiration à mi-chemin entre Orient et Occident, et apprécier les instruments peu usités [lire nos chroniques des 24 et 25 juillet 2019]. Après Takdima (2014), où résonnait un hautbois d’amour, Adh-Dhohr (Boulogne-sur-Mer, 2018) invite le serpent, instrument de la famille des cuivres qui a longtemps accompagné le chant liturgique et le chœur dont il renforçait la partie grave lors des offices religieux. Dédiée à Patrick Wibart qui la grave en première mondiale, cette pièce est la deuxième d’un cycle autour du Salat, la prière islamique qui mobilise cinq fois le fidèle, de l’aube au crépuscule. S’inspirant du cadran solaire, le Toulousain met en jeu la concentration et le dévoilement dans une sorte de complainte monodique qui frémit d’un mystère caressant (Selvaggio), avant une vivacité moins passionnante (Ieratico).

LB