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Chroniques
Benjamin Britten
Gloriana
Dans ses mémoires (The Tongs and the bones, 1981), Lord Harewood raconte comment, au cours de l'hiver 1952, Benjamin Britten, Peter Pears, son épouse et lui-même mènent une série de discussions qui débouchent sur l'élaboration de Gloriana. À l'occasion du couronnement de la reine Elisabeth II (prévu pour 1953), ils ont l'idée de concevoir un opéra national censé diffuser une image positive de la monarchie, avec comme sujet – si l'on peut dire... – le règne d'Elisabeth I (1558-1603). Cousin de la future souveraine et directeur du Royal House Covent Garden, Harewood semble le mieux placé pour passer cette commande. Comme sources historiques, on retient les ouvrages de Lytton Strachey et de J.E. Neale ; comme librettiste, Britten opte pour William Plomer – qui, par la suite, collaborerait à la trilogie des paraboles d'églises Curlew River, The Buning Fiery Furnace et The Prodigal Son. Cependant, la genèse de l'opéra est moins enthousiasmante qu'une conversation entre amis : Plomer se rend trop rarement à Aldeburgh pour Britten qui manque de temps et doit repousser la création de The Turn of the Screw commandé par Venise, Pears préfère le rôle de Cecil à celui d'Essex écrit pour lui, le chef retenu se révèle médiocre, etc. Pire, l'accueil glacial du public le soir de la première (milieux aristocratiques, politiques et diplomatiques) et les doutes émis par l'ensemble de la presse incitent Britten à prendre ses distances avec les projets lyriques de grande envergure. De fait, Gloriana reste le seul ouvrage de Britten à n'être pas enregistré de son vivant.
Il faut attendre 1966 pour que soient redécouvertes les qualités dramaturgiques et musicales de l'œuvre, et 1984 pour sa véritable réhabilitation. « Une fête à ne pas manquer » annonce The Sunday Times, pour saluer cette production de l'English National Opera, mise en scène par Colin Graham et filmée la même année au London Coliseum par Derek Bailey – réalisateur concentré sur l'essentiel mais sans perdre de vue la perspective. Le décor unique (balcon ouvragé, escaliers, etc.) s'adapte aux différents tableaux de ces trois actes, notamment par l'emploi de tentures qui dessinent un espace tantôt public, tantôt privé. On sait que cette frontière mal définie entre sentiment et devoir est au cœur de l'œuvre, et que les tensions vécues trouveront une issue dans un final empreint de pathos. À voir aujourd'hui The Queen, le film de Stefan Frears, on se dit qu'aucun pouvoir, quelque soit l'époque, ne peut se préserver d'éclaboussures écarlates.
Participants à des danses de cour réglées au cordeau, les chanteurs nous aident à entrer dans un monde de conventions et d'intrigues qui paraît d'abord compliqué parce que très riche. Sarah Walker (Elizabeth I) possède une conduite exemplaire du chant, un grave coloré et un legato nourri. Anthony Rolfe Johnson (Essex) fait montre d'un bel éventail expressif, offrant un travail sensible sur la dynamique en général, sur son chant au luth en particulier. Doté d'une autorité naturelle, Alan Opie (Cecil) jouit d'une belle égalité de la pâte vocale, souple et onctueuse. Richard Van Allan (Raleigh) accompagne très amplement sa phrase musicale. Si Neil Howlett (Mountjoy) paraît lointain car assez terne, Elizabeth Vaughan (Lady Rich) et Malcolm Donnelly (Cuffe) ne manquent pas de puissance. Les chœurs sont efficaces, remarquables sur le périlleux passage a cappella de la pantomime. Privilégiant la clarté, la vivacité et la ténacité de l'accentuation, Mark Elder dirige un orchestre dont la qualité de cordes contribue à la grande présence.
SM