Chroniques

par stéphanie cariou

Benjamin Britten
Peter Grimes

2 DVD EMI classics (2007)
5 00971 9
Benjamin Britten | Peter Grimes

Ce Peter Grimes est le deuxième édité en DVD, après celui d'Arthaus Musik où l'on pouvait découvrir l'incarnation saisissante de Philip Langridge [lire notre critique du DVD]. L’ouvrage raconte l'histoire d'un pauvre pêcheur rejeté par la société, ce qui finit par le pousser à la folie et au suicide. Si le personnage du poème qui a inspiré cet opéra sublime à Benjamin Britten était surtout brutal et même foncièrement sadique, le compositeur en fit un être frustre certes, mais cela surtout à cause des humiliations que les habitants du Bourg lui firent subir.

Avec une ligne de ténor claire impeccablement conduite et une articulation soignée, Christopher Ventris prend ce parti pris de montrer Grimes comme n'étant pas foncièrement méchant au départ, mais perdant le contrôle de lui-même ; il fait monter la tension au fur et à mesure que l'étau se resserre. Le soprano Emily Magee est une Ellen Orford chaleureuse et aimante qui semble avoir un réel désir de construire quelque chose de solide avec Grimes. Son timbre est lumineux et fourni, l'émission parfois un peu dure, ce qui est excusable au regard de la difficulté du rôle qui avait impressionnée sa créatrice Claire Watson. Alfred Muff, le Capitaine Balstrode, est un vieux loup de mer sage et observateur. Sa voix est puissante, bien qu'elle manque de justesse.

Les deux rôles graves féminins, Auntie et Mrs Sedley, sont chantés par Liliana Nikiteanu et Cornelia Kallisch, voix d'altos amples et pleines d'autorité. Auntie est ici une tenancière de cabaret élégante et décidée, entourée de deux nièces vives et séduisantes aux voix piquantes (l'une des deux est un peu acide), et attachante dans les moments de sympathie qu'elle manifeste à Ellen. En apparence distinguée, Mrs Sedley est persifleuse et indiscrète, allant même jusqu'au comique dans les scènes de foule, où elle se laisse entraîner par autres. Signalons de bons seconds rôles ; Cheyne Davidson est un Ned Keene indifférent, ce qui le montre cynique, et surtout Rudolf Schasching, ténor puissant et bien projeté en hargneux méthodiste Bob Boles.

La mise en scène de David Pountney consiste en un échafaudage et quelques chaises. Il y installe une direction d'acteurs vivante et dynamique, parfaitement intégrée par l'excellent Chœur de l'Opéra de Zurich, qui chante et joue très bien. Certains ont reproché au metteur en scène de ne pas avoir assez représenté la mer, très importante dans l'ouvrage ; mais Britten lui-même ne souhaitait pas qu'elle soit omniprésente. Universel, le propos ne se réduit pas aux habitants du Suffolk, région natale du compositeur. La nature est évoquée par deux grands astres (les marées fonctionnant avec la lune) éclairés en fonction de la scène (souvent dans les tons rouges et jaunes ou gris), ce qui crée des atmosphères subtiles. Il y a également des effets saisissants, comme la scène de la tempête hantée par les fantômes des apprentis éclairés par une lumière verdâtre. Franz Welser-Möst dirige l'orchestre maison qui s'avère en pleine forme. Sa lecture est finement ciselée, avec des interludes superbes.

SC