Chroniques

par laurent bergnach

Benjamin Britten
Billy Budd

2 DVD Opus Arte (2011)
OA 1051 D
Billy Budd, opéra de Britten, chez Opus Arte (2011)

Dès l’époque du premier Festival d’Aldeburgh, en 1948, Benjamin Britten et Edward Morgan Forster commencent à parler d’une collaboration possible, sans pouvoir se mettre d’accord sur un sujet. De plus, l’auteur d’A passage to India, sans expérience de librettiste, redoute les embûches inhérentes aux créations collectifs – ce que l’avenir confirmerait, ne serait-ce qu’au moment de décider du personnage principal et du dosage d’érotisme de cet ouvrage lyrique sans femme. C’est à la fin de l’année qu’Eric Crozier, fort de son travail sur Albert Herring et Saint Nicolas, semble avoir rejoint le projet, et que Britten choisit d’adapter l’ouvrage de Melville.

Si l’on parcourt Benjamin Britten ou le mythe de l’enfance, avant même la fin du premier chapitre, la biographe Mildred Clary présente deux pistes qui expliquent cet intérêt pour Billy Budd : d’une part, l’attrait pour l’océan d’un compositeur qui a grandi à ses côtés, à Aldeburgh (« J’ai toujours voulu rester près de la mer. J’ai essayé d’habiter ailleurs, mais j’avais besoin de cette atmosphère. J’aime les petites communautés »), d’autre part, la détestation de toute forme de violence, surtout si elle s’accompagne de sadisme et d’humiliation (« Pour les corrections sérieuses, on assemblait l’école tout entière ; le criminel était exposé aux yeux de tous, puis on l’emmenait au dortoir situé au-dessus de la salle de classe. […] Apprendre que l’on fermait les yeux sur ce genre de comportement, que c’était même approuvé, m’a profondément marqué »).

Créé le 1er décembre 1951 à la Royal Opera House, puis révisé en 1960, l’Opus 50 de Britten fête son quasi demi-siècle au Festival de Glyndebourne, en mai 2010. Les décors de Christopher Oram pour L’Indomptable éclairent vite les relations hiérarchiques des marins (maître ou esclave) et engendrent des espaces étriqués propices à la camaraderie innocente ou aux confrontations perverses. Précise, la direction d’acteurs de Michael Grandage peuple ce navire de personnages crédibles, d’un réalisme presque cinématographique – à l’instar du nœud coulant élaboré sous nos yeux.

Ainsi Vere est-il rarement apparu tel que l’incarne John Mark Ainsley, avec sa ligne de chant claire et nuancée : un homme cultivé qui juge l’autre avec finesse, guerrier par hasard, lâche par cette difficulté à parler que connaît Billy également. Habité, il supporte les gros plans, offrant une nouvelle dimension au prologue et à l’épilogue. Phillip Ens, lui aussi, n’a pas besoin d’en faire trop pour livrer un Claggart glaçant. La pureté et la jovialité du rôle-titre tenu par Jacques Imbrailo, baryton lumineux et stable, n’en paraissent que plus naturelles. L’émotion est donc au rendez-vous de son dernier aparté.

Mis à part Iain Paterson (Redburn), un peu victime du roulis, le reste de la distribution rend cette production fréquentable de la poupe à la proue, tels Matthew Rose, Flint d’une fermeté appréciable, Darren Jeffery, Ratcliffe à la voix large, ou encore Alexander Robin Baker, Ami du Novice tendrement expressif. Associé au Glyndebourne Chorus, le London Philharmonic Orchestra se révèle de toute beauté, vif, précis et même swinguant parfois, sous la direction de Mark Elder.

LB