Chroniques

par françois-xavier ajavon

Benjamin Britten
Gloriana (Symphonic Suite) – Sinfonia da Requiem – Four Sea Interludes – Passacaglia

1 CD Naxos (2005)
8.557196
Benjamin Britten | Sinfonia da Requiem – etc.

Voilà un disque séduisant à plusieurs égards pour les fans de Benjamin Britten : il regroupe une très bonne version de l'austère Sinfonia da Requiem Op.20 et deux suites symphoniques extraites d'œuvres destinées à la scène, l'opéra Peter Grimes dont les intermèdes orchestraux ont été rassemblés en cinq extraits, et Gloriana, résumé en douze morceaux. Naxos poursuit ici la salutaire réédition des archives Collins Classics. En effet, ces enregistrements de plusieurs opus orchestraux du compositeur britannique, sous la baguette de Steuart Bedford (et dans le mythique studio n°1 d'Abbey Road) ne constituent pas une nouveauté : ils avaient été précédemment édités en 1989. Nous avons dit ailleurs à quel point l'intégrale Britten de Bedford en son numérique était justifiée [Serenade for tenor, horn and strings – lire notre critique du CD], malgré la quasi intégrale gravée par l'auteur chez Decca. Bedford fut longtemps directeur artistique du Festival d'Aldeburgh et a réalisé plusieurs enregistrements d'œuvres de Britten, sous la supervision de l'artiste en personne, au milieu des années soixante-dix : autant dire qu'il est en parfaite osmose non seulement avec sa musique mais avec son univers.

L'élégante, introspective, noire et austère Sinfonia da Requiem Op. 20 a été écrite en 1939, en réponse à une commande du gouvernement japonais, afin de commémorer les 2600 ans de la fondation de la dynastie impériale. Il s'agit d'une symphonie d'une vingtaine de minutes, découpée en trois mouvements très classiques, basés étonnamment sur les codes de la liturgie de l'église chrétienne. Le gouvernement reçut aussi les œuvres de très grands compositeurs tels que Richard Strauss et Jacques Ibert, et refusa la partition de Britten précisément à cause des références chrétiennes – quelque peu provocatrices, il faut avouer. L'œuvre a été créée en 1941 à Londres, en hommage aux parents du compositeur. Les trois mouvements Lacrymosa, Dies Irae et Requiem Aeternam se présentent comme de sourdes plaintes succédant à des climax violents, et dessinent l'image d'un univers entier en crise mondiale, de Londres à Tokyo… Bedford, à la tête du London Symphony Orchestra, est très attentif à l'unité de l'œuvre, au delà de ses soubresauts cyclothymiques, et n'oublie pas que le pessimisme est le mot d'ordre du projet. On en arrive à se demander si le Japon des années quarante n'a pas été plus réticent à cette noirceur qu'à l'attirail latin du christianisme (on notera au passage que Britten a écrit beaucoup de musique religieuse, et un autre Lachrymae Op.48 pour piano et alto, que l'on peut retrouver dans un enregistrement inoubliable chez BBC Music / Britten the performer) ? On est autorisé à préférer la version plus fine et plus violente de Britten lui-même, chez Decca (425 100-2), mais à condition de mettre la main sur le disque et d'accepter le souffle des enregistrements des années soixante !

Gloriana est un opéra commandé à Britten par la famille royale en 1953, pour le couronnement de la jeune et belle Elisabeth – qui constitua aussi l'un des premiers événements internationaux dont la TV donna un écho mondial et qui contribua à lancer ce média. En tant que sujet britannique, Benjamin se devait d'être de la fête. Il signe un opéra long, très classique, qui n'est manifestement pas le meilleur de son œuvre, mais qui a un charme légèrement désuet parfaitement irrésistible. D'une part, il y rompt avec ses thématiques habituelles (homosexualité, obsession de la vertu, etc.) pour donner une fable un peu naïve sur une reine amoureuse, et se permet en plus d'être un peu irrévérencieux en donnant le portrait d'une autre reine Elisabeth historique, torturée entre son pays, son lit conjugal et les bras de son amant. Bedford a sélectionné la suite Op.53b (et non 52a, comme il est indiqué par erreur sur la jaquette), composée de l'essentiel des ambiances musicales de l'opéra, entre danses de cour un peu empesées et sublime parade pleine de dignité aristocratique. Les grands aficionados se reporteront aussi à l'enregistrement intégral de l'opéra par Sir Charles Mackerras pour Argo, et sur la suite Op.53a extraite du même Gloriana, disponible jadis en vinyle import chez EMI sous la baguette d’Uri Segal. On jettera aussi une oreille sur la version Britten des Choral Dances de Gloriana, avec le harpiste Osian Ellis, qui est aussi au casting de notre enregistrement Collins/Naxos.

Le disque est complété intelligemment par une autre suite extraite d'opéra : Peter Grimes, le trop fameux marin-pêcheur pervers du Borough britannique… Britten, dans ces Four Sea Interludes Op.33a and Passacaglia Op.33b, ne réalise pas une vulgaire adaptation de la musique de scène dans une suite destinée au concert ; il extrait des séquences orchestrales très homogènes de quelques minutes, incluses dans l'opéra, qui servaient autant à la respiration des chanteurs et des spectateurs qu'aux changements des décors. Ces intermèdes sont autant de splendides instantanés impressionnistes et délicats de la mer (au petit jour, le dimanche matin, à la nuit tombée, dans la tempête). Même si cette partition est archi-présente au disque, on ne peut pas reprocher à Bedford d'en donner sa vision personnelle, sincère et passionnée.

En conclusion, disons que Stuart Bedford, dans les années quatre-vingt dix, a réalisé une collection Britten de référence, au format numérique (DDD), qui parvient à concurrencer largement les enregistrements réalisés par le compositeur lui-même pour Decca. On ne peut que remercier Naxos de faire revivre ce fond Collins que l'on croyait perdu à jamais ; mais, comme toujours avec cette maison de disque, on regrette que le livret ne soit disponible qu'en langue anglaise (c'est un moindre mal).

FXA